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mélancolie était la mère de la perfection. À quoi mon auteur répond :


Une femme nous dit et nous prouve en effet,
Qu’avant quelque mille ans l’homme sera parfait,
Qu’il devra cet état à la mélancolie.
On sait que la tristesse annonce le génie ;
Nous avons déjà fait des progrès étonnants ;
Que de tristes écrits ! que de tristes romans !
Des plus noires horreurs nous sommes idolâtres,
Et la mélancolie a gagné nos théâtres.


— Ah ! m’écriai-je, je ne savais pas que vous connussiez si bien mon livre favori[1].

— Le vôtre ? dit vivement Vincent. Dieux ! quelle sympathie ! j’en ai fait pendant longtemps mes délices, mais,


Dis-nous qui peut donner à César aujourd’hui
Cet air sombre et chagrin, ce front chargé d’ennui ! »


Mes yeux allaient se fixer sur le visage de Vincent pour y chercher l’explication de cette phrase, lorsqu’ils se rencontrèrent avec ceux de Glanville qui venait d’entrer à l’instant. J’aurais dû deviner qu’il était attendu, en voyant lady Roseville jeter des regards inquiets du côté de la porte, chaque fois qu’elle se fermait ou s’ouvrait. On ne se trompe pas à de pareils signes ; cette agitation, cette rêverie, trahissent une femme qui aime.

Glanville me parut plus pâle, et peut-être aussi plus triste que de coutume ; mais il n’était ni distrait ni absorbé ; il ne m’eut pas plus tôt aperçu qu’il s’approcha de moi et me tendit la main avec une grande cordialité. Sa main ! me dis-je, et je ne pus me décider à la toucher ; je ne fis que lui adresser un salut ordinaire. Il me regarda d’un œil fixe et inquisiteur, puis se détourna brusquement. Lady Roseville s’était levée, elle le suivait des yeux. Il s’était jeté sur un canapé près de la fenêtre. Elle alla s’asseoir à côté de lui. Je détournai les yeux. J’avais les joues en feu, mon cœur battait vivement, je me trouvais, à présent, à côté

  1. La Gastronomie de Berchoux.