Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/107

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cent volumes, c’est un admirable musée de curiosités mal classées ; ce sont des diamants maladroitement montés, mais un seul de ces diamants ferait la fortune d’un bijoutier habile. Les poètes de l’avenir se serviront de lui comme le Mercure d’Homère se sert de la tortue, qu’il fait chanter après sa mort ; leurs lyres seront faites avec son écaille.

« Si je ne me trompe, dit Clarendon, voici ses défauts littéraires : il est trop savant dans ses poésies, trop poète dans ses œuvres scientifiques. La science est le fléau des poètes. Vous figurez-vous comme Pétrarque serait beau, sans ses conceptions platoniques ? Représentez-vous l’imagination luxuriante de Cowley, se développant en liberté sur les spectacles sublimes de la nature, au lieu de s’arrêter aux minuties de l’art. Milton lui-même qui a peut-être fait un étalage de science plus gracieux et plus magnifique qu’aucun autre poète, aurait été beaucoup plus populaire s’il avait voulu être plus simple. La poésie est faite pour la multitude, la science n’est faite que pour quelques-uns. Vous n’avez qu’à les mêler, l’érudition y gagnera quelques lecteurs, mais la poésie perdra les siens.

— C’est vrai, dit Glanville, aussi les philosophes-poètes sont-ils les plus populaires et les poètes-philosophes sont-ils les moins lus de tous.

— Prenez garde, dit Vincent en souriant, votre observation est très-fine, mais elle pourrait nous égarer ; la remarque est vraie, avec une certaine restriction toutefois, c’est que la philosophie qui nuit à la popularité d’un poète, c’est celle de la science et non celle de la sagesse. Toutes les fois qu’elle consiste dans la connaissance des ressorts les plus apparents du cœur humain et non dans les recherches abstraites de subtilités métaphysiques, la philosophie devient populaire au même titre que la poésie, parce que, au lieu de ne s’adresser qu’à un petit nombre d’hommes, elle frappe tout le monde. Ainsi c’est la philosophie de Shakspeare qui fait qu’il est dans toutes les mains et pénètre dans tous les esprits ; tandis que la philosophie du poète Lucrèce, un des plus puissants esprits qui aient existé, nous force souvent à fermer son livre fa-