Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/108

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tigant à force de profondeur. La philosophie n’est donc déplacée dans la poésie que lorsque, revêtant le costume de la science, elle devient sévère et rude, et qu’elle cesse dès lors, d’être harmonieuse comme le luth d’Apollon.

— Hélas ! dis-je, combien l’éducation est devenue plus difficile aujourd’hui qu’autrefois ! On n’avait anciennement qu’un but, acquérir des connaissances, et maintenant il nous faut non-seulement les acquérir, mais encore apprendre à nous en servir, et même il y a bien des circonstances où le comble de la science est de paraître ignorant.

— Peut-être, dit Glanville, le dernier degré du savoir doit-il être de garder en effet notre ignorance ? Quel est l’homme qui après avoir consumé sa vie et sa santé à la poursuite de la science, s’est jamais déclaré satisfait et a jamais été récompense de ses peines ? Le sens commun nous dit que la meilleure manière d’employer la vie est d’en jouir. Le sens commun nous apprend également ce qu’il nous faut pour cela : la santé, le bien-être, la satisfaction, mais la satisfaction modérée de nos passions. Qu’est-ce que tout cela a à faire avec la science ?

— Je pourrais vous répondre, dit Vincent, que j’ai été moi-même un de ces chercheurs qui creusent et explorent péniblement les profondeurs de l’esprit humain. Je puis donc, par expérience, vous parler du plaisir, de l’orgueil, de la satisfaction, que j’ai retirés de ces études et dont j’ai accru la somme de mes jouissances. Mais j’aurai la candeur d’avouer que j’y ai éprouvé d’un autre côté des désappointements, des mortifications, des désespoirs, et un affaiblissement physique qui ont plus que balancé les avantages précédents. Le fait est, à mon avis, que l’individu est victime de la peine qu’il se donne, mais que le résultat de ses efforts n’est pas perdu pour l’humanité. C’est nous qui avons le plaisir facile de récolter ce qu’a semé péniblement le laboureur. Le génie de Milton ne l’a point sauvé de la pauvreté et de la cécité. Le Tasse est mort en prison, et Galilée a été poursuivi par l’inquisition. Ils ont été victimes de leur peine, et nous, la postérité, nous en profitons. L’empire de la littérature est tout le contraire