Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/117

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liers, assez plats. Cependant, quand vous aviez jeté deux ou trois fois les yeux sur sa physionomie, vous y trouviez dans l’expression quelque chose de singulier et d’accentué qui compensait la vulgarité de ses traits. L’œil droit tournait le dos à l’œil gauche, et formait ce genre de loucherie effrayante qu’on ne saurait mieux comparer pour la forme qu’à ces fusils irlandais fabriqués pour tirer en côté. Ses sourcils étaient larges et velus : on aurait dit des broussailles où ses yeux de renard étaient allés se terrer. Autour de ce gîte on voyait un vrai labyrinthe sans fin de ces rides vulgairement appelées la patte d’oie, profondes, embrouillées, emmêlées ; elles rappelaient aux plaideurs ces toiles d’araignées qui ont envahi les dossiers d’un procès à la Chancellerie. Le reste de sa physionomie, non moins étrange d’ailleurs, était parfaitement uni et insignifiant. Les lignes mêmes, ordinairement si fortement accusées chez les hommes de son âge, des narines au coin de la bouche, n’étaient pas plus apparentes que chez un jeune garçon de dix-huit ans.

Son sourire était franc ; sa voix claire et animée ; son abord ouvert et bien supérieur à sa position sociale ; c’était celui d’un homme qui se sent votre égal, sans pourtant se méconnaître. Mais, malgré toutes ces considérations qui militaient en sa faveur, il y avait une telle expression de malice et de ruse dans cet œil vigilant et obstiné, ainsi que dans le réseau de rides qui formait ses dépendances, que je ne pouvais me défendre de me défier de lui, tout en prenant goût à sa compagnie. Peut-être cela tenait-il à ce qu’il était en effet trop franc, trop familier, trop dégagé pour être tout-à-fait naturel. L’expérience donne bientôt à l’honnête homme plus de réserve. Il n’est rien de tel que les coquins pour être ouverts et communicatifs ; la confiance et le sans-gêne ne leur coûtent rien. Pour en finir avec le portrait de ma nouvelle connaissance, je dois ajouter que je fus frappé de lui trouver dans la physionomie quelque chose qui ne m’était pas tout-à-fait inconnu, ce quelque chose que, selon toute probabilité, nous n’avons pourtant jamais vu, mais, qu’en raison même de sa vulgarité, nous imaginons avoir déjà rencontré plus de cent fois.