Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/118

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Nous marchions d’un bon pas, et cependant il faisait chaud. Le fait est que l’air était si pur, l’herbe si verte, l’atmosphère de midi si pleine du bourdonnement, du mouvement, de la vie de la création qu’on se sentait plutôt fortifié et rafraîchi qu’énervé par la chaleur.

« Nous avons là, monsieur, un magnifique pays, me dit mon héros porte-balle. En sortant des tristes et stériles parages du continent, on se croit transporté dans un véritable paradis. Un cœur vertueux est toujours patriote, monsieur. Pour ma part, il me prend à chaque instant des élans de reconnaissance pour remercier la Providence, quand je considère ses œuvres, et je ressemble aux vallées du psaume qui sont prêtes « à rire et à chanter. »

— Comment donc, mais vous n’êtes pas seulement philosophe, vous êtes de plus enthousiaste ! Encore un peu et, si je me trompe, je vais découvrir que j’ai l’honneur de saluer aussi en vous un poète.

— Mais, monsieur, répliqua notre homme, j’ai fait quelques vers dans ma vie ; d’ailleurs j’ai fait un peu de tout, car j’ai toujours été grand amateur de la variété : mais, si Votre Honneur veut bien me permettre de lui renvoyer sa question : ne seriez-vous pas vous-même un favori des muses ?

— Je ne peux pas me flatter de cela. Je poux tout au plus parler de mon bon sens, l’antipode du génie, vous savez, s’il faut en croire l’opinion reçue.

— Le bon sens ! répéta mon compagnon avec un sourire singulier et fort expressif, accompagné d’un clignement plein de malice dans l’œil gauche. Le bon sens ! ah ! pour cela, ce n’est pas mon fort, monsieur. Vous êtes alors à ce que je puis croire un de ces gentlemen qu’il n’est pas facile d’attraper et qui ne se laissent pas aisément tromper par les actes ou les apparences ; moi, au contraire, j’ai été dupe toute ma vie. Un enfant m’en ferait accroire. Je suis la personne du monde la moins défiante.

— Oui, me dis-je en moi-même, et trop ingénu de moitié. Il faut que cet homme-là soit un fripon ; mais qu’est-ce que cela me fait ? C’est la première et la dernière fois que je l’aurai vu : et, fidèle à mon habitude de ne jamais perdre une occasion d’étudier les caractères individuels, je me dis