Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/132

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joyeux en votre absence ? Pourtant, si la mythologie de Moore est vraie, la beauté n’en aime que mieux la folie quand elle emprunte quelque chose à la raison ; mais, venez, ce n’est pas ici la place des discours graves, c’est plutôt celle des étourdis. Joignons-nous aux valseurs.

— Je suis engagée.

— Je le sais ! croyez-vous que je voulusse danser avec une femme qui ne le fût pas ? Le beau triomphe pour la vanité en ce cas ! Allons, il faut que vous me préfériez à un engagement ; » et en parlant ainsi j’entraînai ma conquête.

Son partner projeté était M. V*** ; juste au moment où nous venions de nous joindre aux danseurs, il nous découvrit et s’approcha avec son long, sérieux et respectueux visage. La musique commença et le moment d’ensuite le pauvre V*** fut près d’être culbuté. Plein du plus politique dépit, je pirouettai droit contre lui, m’excusai avec mon sourire le plus caressant, et le laissant essuyer sa bouche et se frotter l’épaule, il présentait au naturel l’espérance déconfite.

Bientôt je me lassai de ma danseuse, et, l’abandonnant au destin, j’allai rôder dans une autre pièce. Là, assise seule, se tenait lady Roseville. Je me plaçai près d’elle ; il existait une espèce de franc-maçonnerie entre elle et moi ; chacun de nous en savait sur l’autre plus que le monde n’en connaissait, et nous avions pour lire dans nos cœurs des signes plus sûrs que les mots. Je vis bientôt qu’elle n’était pas de bonne humeur : tant mieux, c’était une compagnie qui n’en convenait que mieux à un aspirant éconduit comme moi.

La chambre où nous nous tenions était presque déserte ; nous n’avions pas d’interruption à craindre et notre conversation prit une teinte sentimentale.

« Combien la foule, dit lady Roseville, sait peu de chose des individus qui la composent : de même que les couleurs les plus opposées peuvent se fondre en une seule, perdre leur nuance particulière et se voir ainsi classées sous un seul nom, ainsi chacun des invités va s’en retourner chez lui en parlant de la gaieté de la fête,