Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/133

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sans songer un seul moment que cette gaieté générale ne se compose que de douleurs particulières.

— J’ai souvent pensé, lui dis-je, que nous sommes bien sévères dans nos jugements envers les autres, que souvent nous accusons d’être mondains les gens qui n’ont que le tort de le paraître aux yeux du monde. Vous, par exemple, quand on vous a vue dans vos moments les plus brillants, on ne vous supposerait jamais capable de faire l’aveu qui vient de vous échapper.

— Je ne voudrais pas le faire à beaucoup d’autres que vous, répondit lady Roseville. Non, vous n’avez pas besoin de me remercier. J’ai quelques années de plus que vous ; j’ai vécu plus longtemps dans le monde, j’ai vu beaucoup de ses divers caractères ; et mon expérience m’a appris à apprécier un caractère comme le vôtre. Vous paraissez frivole à la superficie, mais je sais que vous avez un esprit, non-seulement capable des plus sérieuses et des plus importantes affaires, mais habitué à les approfondir avec réflexion. Vous paraissez efféminé, mais je sais que personne n’est plus hardi ; indolent, et nul n’a une ambition plus active ; égoïste achevé, et je sais qu’aucun intérêt terrestre ne pourrait obtenir de vous une bassesse ou une injustice, non, pas même un abandon vénal de vos principes. C’est parce que je vous connais ce caractère-là que je suis franche et ouverte avec vous. D’ailleurs, je reconnais dans cet orgueil jaloux, avec lequel vous cachez vos sentiments les plus élevés et les plus profonds, quelque chose qui ressemble au mobile le plus puissant qui anime mon esprit. Tout cela m’intéresse chaudement à votre sort ; puisse-t-il être aussi brillant que mes pressentiments me l’ont fait voir ! »

Je contemplais la figure de la belle causeuse quand elle finit par ce souhait : peut-être en ce moment de solitude mon cœur fut-il infidèle à Hélène ; mais c’est une infidélité qui s’effaça aussi vite que le souffle de mon haleine sur le miroir. Tout fat que j’étais, je savais parfaitement que l’intérêt que l’on me montrait était désintéressé de toute passion. Tout coureur que j’avais été, je savais aussi combien peut être pure l’amitié d’une femme, pourvu qu’elle en aime un autre !