Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/155

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mon âge et de mon humeur. Ma mère me laissait la disposition presque illimitée de la fortune qui devait m’appartenir un jour ; et, cédant à mes désirs plutôt qu’à ses craintes, elle me permit à l’âge de dix-huit ans de partir seul pour le continent. Peut-être la tranquillité et la réserve de mon caractère lui faisaient-elles moins craindre pour moi les dangers de la jeunesse que si j’eusse été d’un naturel plus actif et plus versatile. C’est une erreur qui n’est pas rare ; une humeur sérieuse et contemplative est souvent la pire de toutes pour acquérir promptement la connaissance du monde : c’est du moins la plus propre à souffrir profondément de l’expérience.

« Je choisis pour quelque temps ma résidence à Spa. C’est, vous le savez peut-être, un endroit par lui-même assez ennuyeux pour qu’il n’y ait d’autre amusement possible que le jeu. Tout le monde jouait et je n’échappai pas à la contagion. Je n’en avais même nulle envie ; car j’étais comme le ministre Godolphin, mon goût prononcé pour le silence me faisait aimer le jeu pour l’amour du jeu, parce qu’il dispensait de la conversation. Voilà ce qui me fit faire la connaissance de M. Tyrrell qui alors demeurait à Spa. Il n’avait pas à cette époque tout à fait dissipé sa fortune, mais il faisait chaque jour un pas vers cette fin désirable. La connaissance d’un joueur n’est pas difficile à faire, ni à garder pourvu que l’on joue aussi.

« Nous devînmes aussi intimes que la réserve de mes habitudes m’a permis jamais de le devenir avec tout autre que vous. Il avait quelques années de plus que moi, il connaissait bien le monde, il avait fréquenté les meilleures sociétés, et dans ce temps-là, quelle que fût la vulgarité de son esprit, il n’avait pas encore cette grossièreté de manières qui le distingua bientôt après : car les mauvaises fréquentations ne sont pas longues à produire leur effet. Notre connaissance était donc assez naturelle, surtout si l’on considère que ma bourse était entièrement à sa disposition : l’emprunt est une double bénédiction pour celui qui reçoit et pour celui qui donne ; le premier devient complaisant et soumis, et le prêteur pense favorablement de celui qu’il a obligé.