Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/156

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« Nous nous séparâmes à Spa, avec la promesse mutuelle de nous écrire. Je ne me souviens pas si cette promesse fut tenue, probablement non ; cependant nous n’en fûmes pas moins bons amis pour avoir été mauvais correspondants. Je continuai mes voyages environ une année encore. Alors je retournai en Angleterre, toujours le même, aussi mélancolique, aussi rêveur, aussi enthousiaste qu’auparavant. Il est vrai que ce sont les circonstances qui font l’homme ; mais l’homme aussi peut faire souvent les circonstances. Je veux dire qu’elles reçoivent leurs influences de la disposition préalable de nos esprits : ce qui élève l’un abaisserait l’autre, et ce qui gâte mon voisin est peut-être ce qui serait bon pour me corriger. Ainsi l’expérience du monde rend quelques personnes plus éprises du monde, d’autres plus détachées ; et la satisfaction des sens devient une lutte pour certains esprits, une seconde nature pour d’autres. Quant à moi, j’avais goûté de tous les plaisirs que peuvent procurer la jeunesse et l’opulence et ils m’étaient plus antipathiques que jamais. Je m’étais mêlé à beaucoup de variétés de l’espèce humaine, et j’étais rivé plus que jamais à la monotonie du moi.

« Et si je me rappelle ces particularités, ce n’est pas dans l’espoir de m’attribuer un caractère extraordinaire : je crois que notre époque en a produit beaucoup de semblables. Dans quelque temps d’ici, ce sera une recherche curieuse d’approfondir les causes de cette maladie aiguë de l’esprit qui a été, qui est encore une espèce d’épidémie. Vous me connaissez assez pour croire que je ne suis pas tourmenté de l’affectation ridicule de m’approprier un caractère artificiel, ou de créer en ma faveur un intérêt factice. Je suis loin de vouloir vous faire prendre un vice d’organisation pour une distinction de l’esprit. Pardonnez-moi donc un peu de prolixité. J’avoue qu’il m’est très-pénible d’arriver franchement à mes confessions, et je tâche de m’y préparer en faisant traîner le prélude. »

Ici Glanville s’arrêta quelques moments. En dépit de la sentencieuse froideur avec laquelle il faisait semblant de parler, je voyais qu’il était puissamment et péniblement affecté.