Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/158

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je pas à l’instant que le monde ne m’avait pas changé ? Voyez ma folie ; un an avant de la voir, je n’aurais pas pensé que ce fût elle, mais moi qui serais honoré par ce mariage — et douze misérables mois avaient suffi pour… — Dieu me pardonne ! J’abusai de son amour — de sa jeunesse — de son innocence — elle s’enfuit avec moi — et ce n’était pas pour aller à l’autel ! »

Glanville fit encore une pause, puis, par un violent effort, il vainquit son émotion et continua :

« Le vice ne devrait jamais s’arrêter à moitié chemin — l’homme ne devrait jamais répandre ses plus pures affections sur la femme qu’il perd — jamais il ne devrait à la fois nourrir dans son cœur un sentiment de tendresse et satisfaire l’égoïsme de sa passion. Un débauché qui aime réellement sa victime est un des êtres les plus misérables. En dépit de mon amour heureux et triomphant ; en dépit de la première ivresse de la possession ; de la plus douce, de la plus profonde joie que cause la réciprocité de pensée, de sentiment, de sympathie ; pour la première fois, au milieu du luxe que pouvaient me procurer mes richesses, au milieu des couleurs voluptueuses et printanières dont la jeunesse, la santé et le premier amour entourent la terre que foule la femme aimée et l’air qu’elle respire : en dépit de ces choses, en dépit de tout, je découvris que je n’étais pas du tout heureux. Si les joues de Gertrude paraissaient une idée plus pâles, ou ses yeux moins brillants, je me rappelais le sacrifice qu’elle m’avait fait et je croyais qu’elle le sentait aussi. Vainement, avec le tendre et généreux dévouement qui ne se rencontre que dans la femme, elle m’assurait que mon amour la dédommageait de tout ; plus sa tendresse était touchante, plus le remords était poignant. Je n’aimai jamais qu’elle. L’amour n’est donc pas pour moi un lieu commun, et je ne puis, même aujourd’hui, juger son sexe comme en général le fait le nôtre. Je pensais, je pense encore, que l’ingratitude envers une femme est souvent un crime plus odieux, et je suis convaincu qu’il entraîne un châtiment plus douloureux, que l’ingratitude envers un homme. Mais assez sur ce sujet ; si vous me connaissez, vous pouvez pénétrer la nature de