Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/166

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la croisée, se tourna vers moi avec une sorte de ricanement, « Voilà comme elle est, monsieur, dit-il, sa folie est d’une espèce singulière : nous n’avons pas encore pu jusqu’à présent découvrir jusqu’où elle va ; quelquefois elle semble avoir la conscience du passé, quelquefois elle paraît avoir entièrement oublié toutes choses. Pendant des jours entiers elle est parfaitement silencieuse, ou, du moins, elle ne dit rien de plus que ce que vous venez d’entendre ; mais, d’autres fois, elle délire avec tant de violence, que, que… mais jamais je n’emploie la force que lorsqu’on ne peut pas faire autrement. »

« Je regardai cet homme, mais comment lui répondre autrement qu’en le mettant en pièces à l’instant ? Je sortis de la chambre à la hâte ; mais je ne quittai pas la maison sans Gertrude, je la plaçai dans la voiture, à côté de moi, malgré toutes les protestations et toutes les craintes du gardien, qui furent aisément réduites au silence par la somme que je lui donnai. La vérité est que je recueillis de sa conversation, que Tyrrel avait parlé de Gertrude comme d’une malheureuse qu’il avait séduite, et dont il était bien aise de se débarrasser. Merci, Pelham, de ce froncement de sourcils, mais gardez votre indignation pour quelque chose de mieux.

« J’emmenai ma victime, comme je l’appelais alors, dans un lieu retiré et solitaire : j’eus pour elle toutes les consultations que pouvait fournir l’Angleterre ; tout fut inutile. Nuit et jour j’étais à ses côtés, mais jamais, un seul moment, elle ne sembla me reconnaître. Cependant il y avait des instants de délire farouche et violent où mon nom était prononcé dans les transports de l’enthousiasme le plus passionné, où mes traits, comme s’il eussent été loin, comme si je n’eusse pas été présent à ses yeux étaient rappelés et dépeints avec toute la délicatesse des détails les plus fidèles. Je m’agenouillais devant elle dans les moments où aucun être humain n’était près de nous, je pressais sa main amaigrie, j’essuyais la rosée de son front, et je contemplais son visage convulsif et changeant. Je l’appelais d’une voix qui autrefois eût pu calmer ses plus violentes émotions ; et j’avais la douleur de voir son œil s’arrêter sur moi avec l’indifférence la plus complète, ou la plus véhémente et la plus