Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/173

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cédé dans mon esprit, la mort de ma victime n’était que l’objet final. Car la mort, la crise d’un moment ne me paraissait qu’une trop faible réparation pour la vie d’angoisse, de langueur, de désespoir, à laquelle m’avait condamné sa trahison. Mais enfin, ma peine à moi, ma cruelle peine, j’aurais pu la lui pardonner. C’était le sort de cette créature innocente, immolée, qui irritait l’aiguillon et nourrissait le venin de ma vengeance. Cette vengeance ne pouvait être satisfaite par un châtiment ordinaire. Si le fanatisme ne peut être rassasié que par la torture et les flammes, vous pouvez facilement supposer une furie non moins inexorable à une haine aussi mortelle, aussi concentrée, aussi juste que la mienne. Si le fanatisme peut se persuader alors qu’il est une vertu, ma haine se le persuadait aussi.

« Mon plan était d’attacher Tyrrell de plus en plus à la table de jeu, d’être témoin de son entêtement, de délecter mes yeux de la fiévreuse anxiété de son esprit en suspens, de le mener pas à pas aux plus profonds abîmes de la pauvreté, de rassasier mon âme de l’abjection et de l’humiliation de sa pénurie ; de le dépouiller de tout secours, de toute consolation, de toute sympathie, de toute amitié ; de le suivre, sans être vu, à son misérable et sale logis ; d’observer les combats de la nature en proie à la nécessité contre les dégoûts de l’orgueil, enfin d’être aux aguets pour voir sa constitution s’user, ses yeux se creuser, ses lèvres devenir livides, et tous les terribles et douloureux progrès du besoin dévorant, jusqu’aux dernières angoisses de la faim. Alors, dans ce dernier état, mais seulement alors, je pourrais me révéler ; me tenir debout auprès du lit de mort où il serait étendu sans espoir et sans secours ; crier à son oreille frappée de vertige un nom qui pourrait tripler les horreurs de ses souvenirs ; arracher à sa conscience dans la lutte de l’agonie, la dernière planche, la dernière paille, auxquelles, dans sa rage, elle pourrait s’accrocher ; je pourrais enfin épaissir les ombres qui environnent le départ de la vie, en ouvrant devant son esprit frissonnant de terreur les portes béantes de l’enfer impatient qui le réclame.