Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/183

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le vis joindre un autre homme. Cet homme, c’était vous. Je serrai les dents et repris haleine, en me retirant de nouveau à distance. Bientôt deux hommes me dépassèrent, et je reconnus que quelque accident de voyage les avait arrêtés près de vous pour vous assister. Il paraît, d’après votre témoignage sur un événement ultérieur, que ces hommes étaient Thornton et son ami Dawson. À ce moment ils passèrent trop rapidement, et j’étais trop occupé de mes propres pensées pour les observer : je n’avais d’yeux que pour Tyrrell et vous, parfois saisissant le contour de vos figures à la clarté de la lune, parfois (avec le sens subtil de l’impatience) distinguant seulement le bruit aigu des sabots de vos chevaux sur les cailloux du chemin. Enfin une lourde averse survint ; imaginez ma joie, quand Tyrrell vous quitta et s’éloigna seul !

« Je vous dépassai et je suivis mon ennemi de toute la vitesse de mon cheval ; mais il n’égalait pas celui de Tyrrell, qui courait au grand galop. Quoi qu’il en soit, j’arrivai enfin à une descente raide et presque à pic. Je fus forcé d’avancer lentement et avec prudence ; cependant je ne m’en préoccupais pas le moins du monde, j’étais convaincu que Tyrrell était obligé de prendre les mêmes précautions. Ma main était sur mon pistolet que je venais de saisir pour ma vengeance préméditée, quand un cri aigu, perçant, solitaire, vint éclater à mon oreille.

« Aucun bruit ne suivit, tout redevint silencieux. J’approchais justement du bas de la descente, lorsqu’un cheval sans cavalier passa devant moi. L’averse avait cessé et la lune depuis quelques minutes s’était échappée de derrière les nuages ; à sa clarté je reconnus le cheval monté par Tyrrell. « Peut-être, pensai-je, il a désarçonné son maître et maintenant ma victime ne peut plus m’échapper ! » Je poussai en avant à la hâte, quoique la côte fût encore rapide. J’arrivai en un lieu d’une singulière désolation, c’était une vaste friche avec un étang sur la droite et un arbre flétri bien reconnaissable, qui suspendait au-dessus ses rameaux. Je me précipitai en avant. Dieu clément ! mon ennemi avait échappé à mon bras, il était là gisant, devant moi, dans tout le calme de la mort !