Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/186

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tant pour ma sûreté, je n’en sais rien : mais quand il le lut je tressaillis du danger auquel je me voyais exposé. Un coup d’œil suffit pour me montrer que j’étais entièrement à la merci du scélérat qui se tenait devant moi : il vit mon embarras et jouit de mon trouble.

« Maintenant, dit-il, nous nous connaissons tous les deux ; pour le moment j’ai besoin de mille livres sterling ; vous ne me les refuserez pas, j’en suis sûr ; quand elles seront finies, je reviendrai ; jusque-là vous pouvez vous passer de moi. Je lui jetai un mandat de cette somme et il partit.

« Vous pouvez concevoir la mortification que je souffris dans ce sacrifice de l’orgueil à la prudence, mais ce n’étaient pas des motifs ordinaires qui m’engageaient à m’y soumettre. Comme je marchais rapidement vers la tombe, il m’importait peu que ce fût une mort violente qui vînt abréger une vie dont la limite était déjà fixée et que j’étais bien loin de vouloir prolonger ; mais je ne pouvais endurer la pensée de déverser sur ma mère et ma sœur le malheur et la honte. Quand j’embrassai d’un coup d’œil toutes les circonstances qui se dressaient contre moi, mon orgueil semblait souffrir encore moins d’humiliation à prendre ce parti, qu’à l’idée de voir s’ouvrir pour moi le cachot du criminel, de comparaître en meurtrier devant un tribunal, d’entendre les huées et les imprécations, de la populace, d’affronter la mort de l’assassin, et de laisser dans la postérité cette tache à mon nom.

« Mais au-dessus de ces motifs il faut compter encore mon éloignement et mon antipathique aversion pour tout ce qui devait, selon toute apparence, révéler la secrète histoire du passé. Je défaillais à la pensée que le nom et le sort de Gertrude seraient dévoilés aux yeux du vulgaire, exposés aux commentaires, aux censures, aux risées du public désœuvré et curieux. Il me sembla donc qu’il ne fallait pas un grand effort de philosophie pour vaincre mes sentiments d’humiliation devant l’insolence et le triomphe de Thornton, et me consoler en me disant, que le peu de mois que j’avais à vivre m’auraient bientôt délivré à la fois de ses extorsions et de l’existence.