Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/91

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muse comme de voir la cour que me font tous les partis. Je me ris des conflits insensés et passionnés où je vois les autres engagés, et j’aimerais autant songer à me faire chevalier errant comme Don Quichotte, ou à attaquer les ennemis invisibles de cet échappé de Bedlam, que de me mêler aux luttes acharnées de la politique. En restant comme je fais, éloigné de ce combat furieux, je puis m’en moquer ; mais si je m’engageais dans la mêlée, j’en sortirais blessé et meurtri. Je suis le philosophe qui rit, je n’ai pas envie de devenir le philosophe qui pleure. Je dors bien, je n’ai pas envie de mal dormir. Je mange bien ! pourquoi voulez-vous que j’aille m’exposer à perdre l’appétit ?

« Je ne suis ni troublé ni attaqué dans les paisibles jouissances où je mets mon bonheur, pourquoi irais-je affronter les injures des journalistes et les plaisanteries acérées des pamphlétaires ? Je puis inviter qui il me plaît, pourquoi me mettrais-je dans la nécessité d’inviter des gens qui ne me plaisent pas ? Enfin, mon bon Pelham, pourquoi irais-je aigrir mon caractère, raccourcir ma vie, livrer ma verte vieillesse à la flanelle et aux médecins, et du plus heureux des sages, devenir le plus misérable des fous ? L’ambition me rappelle ce que Bacon dit de la colère : Elle est comme la pluie, elle se brise contre l’objet sur lequel elle tombe. Pelham, mon enfant, goûtez-moi de ce Château Margot. »

Quoique ma vanité fût blessée du peu de succès de mon entreprise, je ne pus m’empêcher de sourire de plaisir, en entendant mon hôte développer ses préceptes de sagesse. Pourtant il s’agissait de mon honneur diplomatique, et je voulais à tout prix en venir à mes fins ; lorsque plus tard je renouvelai mes tentatives de séduction, ce fut par une tout autre méthode. Je n’avais pourtant pas perdu mon temps ; lorsque je quittai ce moderne Apicius, il m’avait ouvert un nouvel horizon, montré une page nouvelle dans le livre de l’humanité. Je savais désormais qu’il n’y a pas de vertu qui puisse égaler le sensualisme pour faire d’un homme un parfait philosophe. Il n’y a point de contentement pareil à celui d’un épicurien, pas de code de morale aussi difficile à attaquer que son inertie et son indolence ; l’épicurien est