Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/95

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vous voyez que la variété des sujets de conversation est interdite dans ces sociétés métis, parce qu’il n’y a pas moyen, même en changeant de sujet, de ne pas blesser quelqu’un. »

Voyant que nous l’écoutions avec attention, sir Clarendon continua ainsi : « Ce n’est là qu’une des moindres objections qu’on puisse faire à la promiscuité qui tend à se produire chez nous, il y en a une beaucoup plus forte, c’est l’imitation universelle qui en résulte. Depuis que les salons sont envahis par le flot des gens du commun, il y a des sociétés qui, pour éviter le contact et la souillure, se réduisent à de petites coteries. Vivant entre elles seulement et n’admettant point d’étranger dans leur familiarité, quoiqu’elles ne puissent se dispenser de rendre de nombreuses visites, ces personnes s’imprègnent pour ainsi dire d’un certain air, adoptent certaines modes, certains mots, voire même une sorte d’accent ou une prononciation particulière qui n’appartiennent qu’à elles. Quiconque n’a point comme elles ces petites excentricités est condamné par cela même comme vulgaire et mal élevé. Comme l’exclusivisme de ces sortes de gens les rend d’un accès difficile, même pour les personnes dont la position sociale est réellement supérieure à la leur, ces supérieurs eux-mêmes, par suite d’un sentiment commun à tous les hommes et qui nous porte à priser les choses rares lors même qu’elles sont sans valeur, sont les premiers à solliciter l’honneur de faire leur connaissance. Ils tiennent à montrer qu’ils y sont arrivés, en imitant à dessein ces bizarreries qui sont comme les hiéroglyphes de cette caste sacrée. Les gens placés au-dessous gagnent cette maladie et imitent ceux qu’ils considèrent comme les mieux placés pour être au courant du mot d’ordre de la mode. Ces manières, qui ne sont convenables pour personne, se transmettent de seconde, de troisième, de quatrième main, jusqu’à ce qu’elles dégénèrent en quelque chose qui est pis que l’absence absolue de manières. Voilà pourquoi vous voyez tout le monde timide, roide, emprunté et mal à l’aise ; les gens sont habillés d’un habit qui ne va point à leur taille, auquel ils n’ont point été accoutumés, et dans lequel ils sont aussi mal à leur aise