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Page:Burckhardt - La civilisation en Italie au temps de la Renaissance. Tome 1.djvu/100

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L’ÉTAT AU POINT DE VUE DU MÉCANISME.

cependant la supériorité de l’esprit florentin. Quel grand politique que Dante Alighieri, la victime la plus illustre de ces crises intérieures, Dante, mûri par Florence elle-même et par l’exil ! Il a jeté dans ses tercets[1], comme dans un moule de bronze, les sanglantes railleries que lui inspirent ces éternels changements de constitution ; ses vers resteront proverbiaux partout où se feront de semblables expériences ; il a maudit, il a regretté sa patrie avec une violence qui a dû profondément remuer le cœur des Florentins. Mais sa pensée s’étend au delà de l’Italie et du monde, et si sa passion pour l’Empire tel qu’il le concevait n’a été qu’une erreur, il faut avouer cependant que cette illusion juvénile de la spéculation politique dans son enfance a chez lui une certaine grandeur poétique. Il est fier d’être le premier qui marche dans cette voie[2] ; sans doute il suit les pas d’Aristote, mais il n’en reste pas moins indépendant et original. Pour lui, l’idéal de l’Empereur est un juge suprême à la fois juste et bienveillant, ne relevant que de Dieu ; c’est l'héritier de la domination romaine, qui avait pour elle le droit, la nature et le conseil de Dieu. La conquête de l’univers a été une conquête légitime, un jugement de Dieu prononçant entre Rome et le reste de la terre ; Dieu a reconnu cet empire en devenant homme pendant qu’il existait, en se soumettant pendant sa vie au pouvoir fiscal de l'empereur Auguste et en acceptant à sa mort le jugement de Ponce Pilate. Si nous ne pouvons suivre qu’avec peine ces arguments et d’autres semblables, sa passion n’en reste pas moins saisissante. Dans ses lettres[3],

  1. Purgatorio, VI, fin.
  2. De Monarchia, (nouvelle édition critique de Witte, Halle, 1863-1871), traduction en allemand par O. Hubatsch, Berlin, 187 «,
  3. >Dantis Aligherii Epistolæ, cum notis, C. Witte, Padua, 1827. Sur la