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LA RÉSURRECTION DE L’ANTIQUITÉ.

du même genre. Ce n’est que dans un pareil milieu que Pic de la Mirandole pouvait se sentir heureux. Mais !e plus bel éloge qu’on puisse faire de Laurent, c’est de dire que sa cour, tout en professant le culte de l’antiquité, était le sanctuaire de la poésie italienne, et que de tous ses titres de gloire, celui-là peut être considéré comme le plus beau. Comme homme d’État, chacun a le droit de le juger comme il l’entend ; mais rien ne serait plus injuste que de l’accuser d’avoir surtout protégé des médiocrités dans le domaine de l’intelligence, et de prétendre que c’est par sa faute que Léonard de Vinci et le mathématicien Fra Luca Pacciolo se sont expatriés, et que Toscanella, Vespucci et d’autres n’ont pas trouvé l’appui qu’ils méritaient. Sans doute il n’a pas été universel ; mais de tous les grands qui ont jamais cherché à protéger et à développer la science, il a été un des plus heureusement doués, un de ceux qui l’ont aimée et cultivée pour elle-méme, par suite d’un besoin inné.

Le siècle actuel a l’habitude de proclamer assez haut l’importance de la culture en général et de l’étude de l’antiquité en particulier. Mais nulle part, comme chez ces Florentins du quinzième siècle et du commencement du seizième, on ne trouva cette ardeur enthousiaste, cette passion de la science, ce besoin de s’instruire qui domine tous les autres. Ce fait est attesté par des preuves indirectes qui ne laissent aucune place au doute : ou n’aurait pas si souvent permis aux filles de cultiver la science, si on ne l’avait regardée comme le bien le plus précieux de cette vie ; on n’aurait pas fait de la terre d’exil le séjour du bonheur, comme Palla Strozzi ; on n’aurait pas vu des hommes, qui d’ailleurs ne craignaient pas d’user et d’abuser des plaisirs, garder assez de force et