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L’ÉTAT AU POINT DE VUE DU MÉCANISME.

La plus haute expression, la forme la plus admirée de l’illégitimité au quinzième siècle, c’est le condottiere, qui devient prince souverain, quelle que soit d’ailleurs son origine. Au fond, la prise de possession de l’Italie inférieure par les Normands au onzième siècle n’avait pas été autre chose ; mais, à l’époque dont nous parlons, des projets de ce genre commençaient à entretenir la Péninsule dans un état d’agitation qui allait devenir permanent.

Un condottiere pouvait s’élever au rang de souverain même sans usurpation, quand, par exemple, celui qui le payait lui donnait des terres à défaut d’argent et d’hommes[1] ; du reste, même quand un chef de mercenaires renvoyait momentanément la plupart de ses soldats, il avait besoin d’un lieu sûr où il pût prendre ses quartiers d’hiver et cacher les provisions indispensables. Le premier exemple d’un chef de bande indemnisé de la sorte, c’est John Hawkwood, qui reçut du pape Grégoire IX les villes de Bagnacavallo et de Cotiguola[2]. Mais quand avec Albéric da Barbiano des armées italiennes et des chefs italiens entrèrent en scène, il devint bien plus facile de gagner des principautés, ou, si le condottiere était déjà souverain quelque part, d’agrandir ses possessions. L’ambition effrénée des condottieri éclata pour la première fois dans le duché de Milan, après la mort de Jean Galéas (1402) ; les deux fils de ce prince (p. 16) ruinèrent surtout leur puissance en cherchant à détruire ces tyrans militaires ; aussi le plus grand d’entre eux, Facino Cane, légua-t-il en mourant à la maison régnante sa veuve

  1. Pour ce qui suit, compar. Canestrini, dans l’introduction du t. XV des Archiv. stor.
  2. Voir sur ce personnage Shepherd-Tonelli, Vita di Poggio, App., pp. 8-16.