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CHAPITRE III. — LA TYRANNIE AU QUINZIÈME SIÈCLE.

future, un grand nombre de villes et quatre cent mille florins d’or ; de plus, Béatrice de Tende (p. 17) entraîna à sa suite les soldats de son premier mari [1]. C’est de cette époque que datent ces rapports, immoraux au delà de toute mesure, entre les gouvernements et leurs condottieri, qui donnent au quinzième siècle un caractère si étrange. Une vieille anecdote[2], une de ces anecdotes qui sont vraies partout et nulle part, peint ces rapports à peu près de la manière suivante : les citoyens d’une ville (c’est de Sienne qu’il s’agit probablement) avaient un général qui les avait délivrés dune incursion ennemie ; tous les jours ils se demaiidaient quelle récompense on devait lui décerner ; ils finirent par déclarer qu’ils ne pourraient jamais le récompenser assez, même s’ils l’investissaient de l’autorité suprème. Alors l’un d’eux prit la parole et dit : Tuons-le, ensuite nous l’adorerons comme un patron de la ville. Et il fut traité peu après comme le sénat de Rome traita Romulus. En effet, les condottieri avaient surtout à se défier de ceux qu’ils servaient ; quand ils combattaient avec succès, ils devenaient dangereux, et on les faisait disparaître comme Robert Malatesta, qui fut dépêché dans l’autre monde aussitôt après la victoire qu’il avait remportée pour le compte de Sixte IV (1482) ; mais parfois, au premier revers, on les punissait comme les Vénitiens avaient puni Carmagnola (1432) [3]. Ce qui caractérise la situation

  1. Cagnola, Archiv. stor., III, p. 28 ; et (Filippo Maria) da lei (Beatr.) ebbe molto tesoro e dinari e tutto la gente d’arme del dito Facino, che obedivano a lei.
  2. Infessura, dans Eccard, Scriptores, II, col. 1911. Machiavel (Discorsi, I, 30) pose au condottiere victorieux l’alternative de l’armée au maître qui le paye, ou de gagner les soldats, de s’emparer des places fortes et de punir le prince di quella ingratitudine, che esso gli userebbe.
  3. Compar. Barth. Facius, De vir. ill., p. 64, qui rapporte que C. a