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CHAPITRE III. — LA TYRANNIE AU QUINZIÈME SIÈCLE.

Son exemple fut contagieux. Sylvius Énéas[1] écrivait à cette époque : « Dans notre Italie amoureuse de changements, où rien n’est solide et où il n’y a pas une puissance séculaire, les valets peuvent facilement devenir rois. » Un individu, qui se nommait lui-même « l’homme de la fortune », occupait alors plus qu’aucun autre l’imagination de tout le pays : c’était Giacomo Piccinino, le fils de Nicolo. Tout le monde se posait cette question brûlante, si lui aussi réussirait ou non à fonder une principauté. Les États considérables avaient un intérêt évident à l’empêcher, et François Sforza trouvait aussi qu’il y avait avantage pour lui à clore la liste des condottieri devenus souverains. Mais les troupes et les chefs qu’on envoya contre lui, lorsqu’il avait voulu, par exemple, s’emparer de Sienne, reconnurent que leur intérêt était de le soutenir[2]. » S’il tombait, se disaient-ils, il nous faudrait retourner à la charrue. Tout en le tenant enfermé dans Orbitello, ils lui firent passer des provisions, et il parvint à sortir avec honneur de ce mauvais pas. Mais il ne put toujours échapper à son destin. Toute l’Italie était attentive à ce qu’il allait faire lorsqu’en 1465 revenant de voir Sforza à Milan, il se rendit à Naples, auprès du roi Ferrante. Malgré toutes les garanties, malgré les engagements les plus solennels, ce prince le fit assassiner dans le Castel Nuovo[3]. Même les condottieri qui possédaient des États obtenus par voie de succession ne

  1. Æn. Sylvius, Commentar. de dictes et factis Alphonsi, Opera ed, 1538, p. 251. Notiate gaudens Italia nihil habet stabile, nullum in ea vetus regnum, facile hic ex servis reges videmus.
  2. Pii II, Comment., I, 46. Compar. 69
  3. Sismondi, X, p. 258. — Corio, fol. 412, où Sforza est considéré comme complice du meurtre parce que la popularité et le renom militaire de Piccinino lui avaient fait craindre des dangers pour ses propres fils. Storia Bresciana, dans Murat., XXI, col. 902. — Comme le raconte Malipiero, Ann. veneti archiv. stor., VII, I, p. 210 des exilés florentins tentèrent Colleoni, le grand condottiere