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L’ÉTAT AU POINT DE VUE DU MÉCANISME.

bien se dispenser de prendre et qui certainement n’aurait pas été prise à Florence. Nous ne parierons pas de la piété de la multitude et de sa confiance dans les indulgences accordées par un Alexandre VI. Mais l’État lui-même, après avoir absorbé l'Église plus qu'elle ne l’était ailleurs, renfermait réellement une sorte d’élément religieux, et le doge, qui symbolisait l’État, figurait dans douze grandes processions[1] (andate), dans lesquelles il jouait un rôle à moitié sacerdotal. C’étaient ordinairement des fêtes célébrées en mémoire d’événements politiques ; elles coïncidaient presque toujours avec les grandes fêtes de l’Église ; la plus brillante de toutes, le fameux mariage du doge avec la mer, tombait le jour de l’Assomption.

La plus baute personnalité politique, le développement le plus complet et le plus varié se trouvent réunis dans l’histoire de Florence, de cette ville qui mérite, sous ce rapport, d’être appelée le premier État moderne dn monde. Ici l’on voit un peuple tout entier s’occuper de ce qui, dans les États gouvernés par des princes, n’intéresse qu’une famille. Le merveilleux esprit florentin, cet esprit à la fois juste, fin, épris du beau, avide de créer, transforme sans cesse l’état politique et social ; sans cesse il le décrit et le juge. C’est ainsi que Florence devint la patrie des doctrines et des théories politiques, des expériences et des brusques changements, mais en même temps aussi elle devint avec Venise le berceau de la statistique et, avant tous les Étals du monde, celui des études historiques dans le sens moderne du mot. La vue de l’ancienne Rome et la connaissance de ses historiens

  1. SINSOVINO, Veneüa, lib. XII, De« andate pahliche iet prmipe, EoNAiios, fol. 40 a. Sur la crainte qu’inspirait l’interdit pontifical, Toir Egnatiüs, fol. 12 a ss.