Page:Burckhardt - La civilisation en Italie au temps de la Renaissance. Tome 2.djvu/128

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Il suffit de l’apparition et de l’influence d’un écrivain comme Machiavel pour mettre à néant ces toiles d’araignée ; archaïstes et puristes furent impuissants contre cette pensée vigoureuse, contre cette expression si simple et si claire, contre cette langue qui avait toutes les autres qualités, s’il lui manquait l’avantage d’étre empruntée tout entière au seizième siècle. D’autre part, il y avait trop d’italiens du Nord, et même trop de Romains, de Napolitains, etc., qui réprouvaient une sévérité excessive en matière de langage. Il est vrai qu’ils renient complètement certaines tournures et certaines locutions de leur dialecte ; aussi un étranger sera-t-il tenté d’accuser Bandello de fausse modestie à la lecture des protestations solennelles dont il est prodigue : « Je n’ai point de style ; je n’écris pas la langue de Florence ; je me sers souvent d’un jargon barbare ; je ne demande pas à ajouter de nouvelles grâces à la langue ; je ne suis qu’un Lombard, et encore un Lombard de la frontière ligurienne[1]. » En réalité, on se défendait surtout contre les rigoristes ; on renonçait formellement à poursuivre un idéal chimérique, mais on travaillait, en revanche, à se rendre maître de la grande langue générale. Tout le monde ne pouvait pas faire comme Pietro Bembo, qui, tout en étant Vénitien de naissance, écrivit toujours le plus pur toscan, presque comme une langue étrangère, il est vrai, ou comme Sannazar, qui mania le toscan avec la même perfection, bien qu’il fût Napolitain. L’important, c’est que chacun était obligé de respecter la langue, soit en parlant, soit en écrivant. Ce point acquis, on pouvait passer condamna-

  1. Bandello, parte I, Proemio, et nov. 1 et 2. — Un autre Lombard, Teofilo Folengo, que nous venons de nommer, vide la question dans son Orlandino, par des plaisanteries fort amusantes.