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CHAPITRE V
L‘HOMME DE SOCIÉTÉ ACCOMPLI

C‘est pour les cours et, au fond, bien plus encore pour lui-même, que se développe et s’affine le courtisan tel que l’entend Castiglione. il est, à proprement parler, l’homme de société idéal ; il est le produit nécessaire, la quintessence de la culture de cette époque, et la cour est plus faite pour lui qu’il n’est fait pour la cour. Tout bien pesé, on ne pouvait rien faire d’un tel homme dans une cour, attendu qu’il a lui-même les qualités et les allures d’un prince accompli, et que sa supériorité, toute simple et toute naturelle, suppose un être trop indépendant. Le mobile secret qui le fait agir, c’est, — l’auteur a beau vouloir le dissimuler, — non pas le service du prince, mais sa propre perfection. Un exemple le fera mieux voir : à la guerre, le courtisan refuse [1] des missions utiles où il trouverait à courir des dangers et à se dévouer, quand elles manquent de grandeur et d’éclat, comme, par exemple, la capture d’un troupeau ; ce qui l’attire dans les camps, ce n’est pas le devoir, mais l‘onore. La situation morale du courtisan vis-à-vis du prince, telle que l’auteur la définit dans le quatrième livre, est très-libre et très-indépendante. La théorie des amours

  1. Il cortigiano, I, II, fol 53. — Sur le Cortigiano, comp. plus haut,