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Page:Burckhardt - La civilisation en Italie au temps de la Renaissance. Tome 2.djvu/144

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mais elle ne voulait pas du chant à plusieurs voix, « parce qu’on pouvait bien mieux eutendre, goûter et juger une seule voix ». En d’autres termes, comme malgré la modestie conventionnelle que tout le monde professe, le chant n’est, en définitive, que l’exhibition de l’individu dans la société (p. 134), il vaut mieux qu’on entende (et qu’on voie) chacun à part. On suppose les auditrices sous l’empire des plus doux sentiments, et c’est pour cela qu’on veut que l’artiste cesse de se faire entendre quand il est vieux, eût-il d’ailleurs le plus beau talent du monde. On tenait beaucoup à ce que le chanteur ou l’instrumentiste charmât son auditoire par le talent et par la grâce réunis. Dans ces cercles il n’est pas question de la composition comme d’une œuvre d’art ayant une valeur indépendante de l’exécution. Mais, si le compositeur s’effaçait, le chanteur se faisait souvent valoir en prenant pour texte ses malheurs ou ses aventures personnelles [1].

Il est évident que ce dilettantisme des classes élevées et des classes moyennes était plus répandu en Italie, et qu’en même temps il se rapprochait plus de l’art proprement dit que dans n’importe quel autre pays. Dès qu’il est question de la société, la musique figure au premier rang, comme un des principaux éléments de la vie sociale ; il y a des centaines de portraits dont les originaux, soit seuls, soit réunis en groupe, font de la musique ou du moins tiennent un luth ou un autre

    degré de culture musicale, qu’on trouvait rarement à l’étranger vers la même époque.

  1. Bandello, parte I, nov. 2$. Le chant d’Antonio Boîogua dani ! le palais d’HippoIyte Bentivoglio. Comp. III, 26* Dans notre siècle ii chatouilleux on appellerait cela une profanation des sentiments les plus sacrés. — (Comp. le dernier chant de Britannicus, Tacite, Annales., XIII, 15.) — La récitation avcc accompagnement de luth ou de viole n’est pas facile à distinguer du chant proprement dit, d’après ce que disent les auteurs.