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de la vieillesse ; or, si l’on fait un mérite à certain Grec célèbre d’avoir encore écrit une tragédie dans sa soixante-treizième année, ne faut-il pas que je me porte mieux et que j’aie l’esprit plus libre, avec mes dix ans de plus que lui ? — Et pour qu’il ne manque à ma vieillesse aucune consolation, je vois devant mes yeux une sorte d’immortalité tangible sous la forme de mes descendants. Quand je rentre chez moi, je trouve, non pas un ou deux pelits-fils, mais onze, qui ont de deux à dix-huit ans, sont tous nés du même père et de la même mère, ont tous une santé excellente et (autant qu’on en peut juger jusqu’à présent) sont tous bien doués, ayant l’amour de l’étude et l’instinct de l’honnêteté. J’ai toujours avec moi un des plus petits ; c’est mon bouffon (buffoncello), car on sait que, de trois à cinq ans, les enfants sont des bouffons de naissance ; quant aux grands, je les traite déjà en amis, en compagnons ; comme ils ont de fort belles voix et du goût pour la musique, j’ai du plaisir à les entendre chanter et jouer de plusieurs instruments ; moi-même je chante aussi, et j’ai la voix plus claire et plus forte que jamais. Voilà quelles sont les joies de ma vieillesse. Ma vie est donc bien vivante, elle n’est pas une mort anticipée ; aussi je n’échangerais pas mon grand âge contre la jeunesse d’un homme dévoré par les passions. »

Dans l’Exhortation que Cornaro, alors âgé de quatre-vingt-quinze ans, ajoute à son livre, il compte au nombre des éléments de son bonheur la satisfaction d’avoir fait beaucoup de prosélytes par son traité. Il mourut à Padoue en 1565, âgé de plus de cent ans.