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Page:Burckhardt - Le Cicerone, 1re partie, trad. Gérard, 1885.djvu/131

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rappeler son rôle de messager, on lui laissait parfois les ailes aux talons et à la tête ainsi que le pétase ; il tenait parfois aussi le caducée, souvenir de sa fonction de héraut ; et dans la main gauche, une bourse souvenir de sa qualité de dieu des marchands ; — d’ailleurs, même sans ces attributs, il est et reste Mercure et justement dans les meilleures images que nous possédons.

Au premier rang, bien avant tous les autres, il faut placer le Mercure du Vatican (Belvédère), le même qu’on appelait autrefois, si étrangement, « l’Antinoüs du Vatican [a] ». C’est un modèle éternellement jeune de formes ennoblies par la gymnastique, comme l’expriment clairement la poitrine large et puissante, les membres forts et cependant finement attachés, l’attitude aisée et calme. Mais il règne dans cette figure un air vraiment divin qui l’élève bien au-dessus de cette expression particulière. Elle a, si je puis dire, une existence plus haute, plus dégagée du temps, que toutes les figures d’athlètes, dans lesquelles semblent exprimés l’effet de la dernière lutte et l’attente des efforts prochains. Et quelle merveilleuse tête ! ce n’est pas seulement le Mercure bienveillant, doux et fin, mais vraiment la divinité « chère aux dieux olympiens et infernaux », le médiateur entre les deux mondes. Aussi ce jeune visage a une ombre de tristesse, comme il convient à ce guide immortel des morts, qui voit s’évanouir tant de vies. Cette mélancolie douce et juvénile, qui est énigmatique et mélangée dans l’Antinoüs, apparaît ici dans toute sa pureté. La statue est polie à l’extrême. Il serait désirable qu’à l’avenir on n’y touchât plus. Une reproduotion bien moindre [b], conservée autrefois dans la grande salle du palais Farnèse, est aujourd’hui au British Museum ; Athènes en possède une autre.

Il y a encore dans les galeries romaines plus d’un Mercure digne d’être admiré, mais aucun n’approche de celui du Belvédère. Qu’on le compare soit au Mercure [c] qui porte l’inscription « Ingenui » (Vatican, Galleria delle Statue), soit au Mercure [d] du Broccio Nuovo (avec une tête antique empruntée à une autre statue), tous deux d’un bon style romain. Au Braccio Nuovo se dressent aussi vers le fond deux termes drapés dont les têtes ont les traits de Mercure [e]. — La grande salle du Musée Capitolin renferme une statue qui semble être un Mercure. C’est un jeune homme penché en avant [f] qui (dans la restauration actuelle) élève l’index de la main droite, comme s’il écoutait, et pose le pied gauche sur un fragment de rocher. C’est une œuvre imposante et pleine de vie. — Un Mercure, d’après un original grec, au moins avec une nuance de cette belle tristesse dont nous parlions, se trouve dans la salle principale de la Villa Ludovisi [g].

Le Musée de Naples (salle 3 des Bronzes) nous montre une tête de Mercure (?) dont la beauté pleine de sentiment rappelle le dieu du Vatican [h]. C’est ce musée qui possède l’incomparable statue assise que l’on nomme à tort Mercure pêchant à l’hameçon [i]. Il est assis depuis