Page:Burckhardt - Le Cicerone, 1re partie, trad. Gérard, 1885.djvu/14

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ple, ont nerveusement échappé à l’auteur en présence de tel tableau ou de telle statue. Burckhardt, en Italie, appartient tout entier à sa pensée, et il ne suit qu’elle. En sorte que peu à peu les œuvres lui apparaissent dans le cadre et le reflet de cette pensée même. Le cadre, il est vrai, est l’histoire à laquelle chaque œuvre le ramène, et qui, à son tour, enserre chaque œuvre. Et ainsi finissent par se souder dans son esprit l’histoire et l’art. Les deux livres de Burckhardt, le Cicérone et la Culture de la Renaissance en Italie, ont été conçus en même temps, dans la même préoccupation, et comme le complément l’un de l’autre. Quant à l’auteur, il a vécu si avant dans cette Italie des XIVe, XVe et XVIe siècles, que le reste s’est comme effacé : il a été absorbé dans son œuvre.

C’est qu’en effet cet homme de la Renaissance avait trouvé son temps et son pays d’élection. L’humaniste bâlois, formé à l’école des archéologues et des érudits de Berlin, avait trop d’affinités avec les Quatro et les Cinquecentistes, pour ne pas devenir leur historien. Et, de fait, la Renaissance n’a jamais été soumise à plus profond examen. Burckhardt a fait à la fois le catalogue de ses œuvres et l’analyse de son génie : le Cicérone est l’inventaire des monuments ; l’essai sur la Culture de la Renaissance en Italie est le bréviaire des idées, des sentiments et des mœurs, d’où est issue cette magnifique civilisation, cette « vita nuova » du monde moderne. La politique d’oligarchie esthétique, l’affranchissement de l’individu, le réveil de l’antiquité, « la découverte de l’univers et de l’homme[1] », le renouveau de la vie sociale, la crise des mœurs et de la religion : telles sont les origines de cette révolution des xive, xve et xvie siècles, et les assises sur lesquelles Burckhardt a fait reposer le monde nouveau. Dante, Machiavel, Pétrarque, Boccace, l’Arétin : tels sont les grands esprits auxquels il a demandé le secret de la Renaissance. Les œuvres, dès lors, s’expliquaient comme d’elles-mêmes, et l’art n’était plus que la dernière expression, la plus visible, d’un temps qui trouvait en lui sa véritable image et

  1. Cette expression, qui est le titre d’un des chapitres de la Culture de la Renaissance en Italie, a été empruntée par Burckhardt à Michelet, dans l’introduction du viie volume de l’Histoire de France. — Voir la Culture de la Renaissance (2e édition, page 241).