Page:Burnett - Le Petit Lord.djvu/111

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Les sentiments du très honorable comte de Dorincourt seraient difficilement décrits. Il n’était pas homme à se troubler facilement, car il avait vu beaucoup le monde ; mais il y avait quelque chose de si nouveau, de si inattendu dans ce qu’il avait sous les yeux, qu’il en éprouvait plus d’émotion qu’il ne se serait cru capable d’en ressentir. Il n’avait jamais fait grande attention aux enfants ; il avait toujours été si occupé de son plaisir qu’il ne lui restait pas assez de temps pour y penser. Ses propres fils même ne l’avaient jamais beaucoup intéressé quand ils étaient enfants, quoiqu’il se rappelât s’être dit quelquefois que le troisième était un beau garçon. Il n’avait jamais su combien tendres et affectionnées, simples et généreuses sont les impulsions de cet âge. Un enfant lui avait toujours semblé un petit être gourmand, bruyant, insupportable, qu’on devait tenir sous une sévère contrainte. Ses deux fils aînés n’avaient donné à leurs précepteurs que des ennuis, et il se figurait que s’il n’avait pas reçu les mêmes plaintes du troisième, c’est que son rang de cadet lui enlevait toute importance et qu’on ne croyait pas devoir lui en parler. Il ne lui était jamais venu à la pensée qu’il pût aimer son petit-fils. Il l’avait envoyé chercher, ne voulant pas, autant que possible, que son nom et son titre appartinssent un jour à un rustre. Il était convaincu qu’il en serait ainsi s’il était élevé en Amérique. Quand le domestique avait annoncé lord Fautleroy, il avait été quelques instants avant d’oser le regarder, tant il craignait de voir un enfant mal fait ou commun de manières, et c’était la raison pour laquelle il avait tenu à être seul avec lui à la première entrevue. Il ne pouvait supporter la pensée de laisser voir à per-