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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

tinés aux malades et d’autres choses encore ; nos profits et nos honneurs nous sont entièrement et complètement enlevés. Cependant nous sommes doués d’une puissance surnaturelle, nous savons discuter sur la science. Le Çramaṇa Gâutama aussi se prétend doué d’une puissance surnaturelle, il prétend savoir discuter sur la science. Il convient que celui qui sait discuter lutte avec celui qui en sait autant que lui, en opérant, au moyen de sa puissance surnaturelle, des miracles supérieurs à ce que l’homme peut faire[1]. Si le Çramaṇa Gâutama opère, au moyen de sa puissance surnaturelle, un seul miracle supérieur à ce que l’homme peut faire, nous en ferons deux ; s’il en opère deux, nous en ferons quatre ; s’il en opère quatre, nous en ferons huit ; s’il en opère huit, nous en ferons seize ; s’il en opère seize, nous en ferons trente-deux. Enfin, nous ferons deux fois, trois fois autant de miracles que le Çramaṇa Gâutama en aura opéré au moyen de sa puissance surnaturelle. Que le Çramaṇa Gâutama ne s’avance qu’à mi-chemin, nous ne nous avancerons qu’à mi-chemin non plus. Allons donc lutter avec le Çramaṇa Gâutama dans l’art d’opérer, au moyen d’une puissance surnaturelle, des miracles supérieurs à ce que l’homme peut faire.

Cependant Mâra le pécheur fit la réflexion suivante : Plus d’une fois, plus d’une fois je me suis attaqué au Çramaṇa Gâutama, mais jamais je n’ai pu le

  1. L’expression dont se sert ici le texte appartient en propre au sanscrit buddhique ; les manuscrits la donnent avec quelques variantes : Uttarê manuchyadharme rĭddhiprâtihâryam vidarçayitum, ou bien Uttarimanuchyadharme, etc., ou encore Anuttarimanuchya… etc. Si on lit uttarê, il faudra traduire mot à mot : « faire apparaître une transformation surnaturelle dans la loi supérieure de l’homme ; » si on lit uttari (forme d’ailleurs insolite), on dira : « faire apparaître une transformation surnaturelle dans la loi d’un homme supérieur, et j’ajoute que la leçon anuttari changera peu à ce dernier sens ; ce sera seulement « un homme sans supérieur » qu’on devra dire. La leçon la plus ordinaire dans nos manuscrits est celle d’uttari ; c’est aussi celle que suivent les textes pâlis de Ceylan. La première des deux traductions que je viens de proposer me paraît confirmée par les mots tibétains de la version de ce texte : Mihi tchhos-blamahi rzu-hphrul, « miracles de la loi supérieure de l’homme. » Ce sens est exprimé en d’autres termes dans la légende publiée par M. Schmidt : Miki bla-mahi tchhos-kyi tchho-liphrul-la hdjug-go, suivant M. Schmidt ; in der magischen Verwandiungskunst aus der Lehre des Lama (Oberhauptes) der Menschen. (Der Weise und der Thor, texte tibétain, p. 58, et trad. all., p. 71.) Cette traduction me paraît introduire à tort le terme de Lama, qui est une conception assez moderne et propre aux Tibétains. Il est vrai que le mot Lama (bla-ma) signifie supérieur, comme l’uttari sanscrit qu’il remplace : c’est un point que je ne conteste pas ; je demande seulement que dans une légende dont les éléments sont contemporains de Çâkyamuni, on ne remplace pas le mot supérieur par celui de Lama. L’expression tibétaine, interprétée littéralement, me semble donner ce sens : « Entré dans une métamorphose de la loi du supérieur de l’homme, » sens qui revient sans doute à celui-ci : « Entré dans une métamorphose légale (c’est-à-dire qui est la condition) de celui qui est supérieur à l’homme. » J’ai suivi le dernier sens, quelque vague qu’il soit encore, parce qu’il se rapproche le plus de l’expression originale ; mais je me suis permis dans ma traduction un peu de liberté, afin de rendre la pensée plus claire. (Cf. Spiegel, Kammavâk. p. 38.)