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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

Celui qui m’apportera la tête d’un mendiant brâhmanique recevra de moi un Dînâra[1].

Cependant le respectable Vîtâçôka s’était retiré pour une nuit dans la cabane d’un Âbhîra. Comme il souffrait encore de sa maladie, ses vêtements étaient en lambeaux, et ses cheveux, sa barbe et ses ongles d’une longueur démesurée. La femme du pasteur fit cette réflexion : C’est sans doute un mendiant Brâhmane que cet homme qui est venu dans notre cabane pour y passer la nuit. Elle dit donc à son mari : Fils de mon maître, voici une occasion de gagner un Dînâra ; tuons ce mendiant, et allons porter sa tête au roi Açôka. Aussitôt tirant son glaive du fourreau, l’Âbhîra se dirigea vers Vîtâçôka. Ce respectable Religieux possédait la science de ce qui lui était arrivé autrefois. Il vit qu’il était sur le point de recueillir le fruit des actions qu’il avait accomplies lui-même anciennement. Aussi, bien sûr du fait, il se tint tranquille. L’Abhîra lui coupa donc la tête avec son glaive et la porta au roi Âçôka, en lui disant : Donne-moi un Dînâra. À la vue de cette tête, le roi crut la reconnaître ; cependant ces cheveux clair-semés ne s’accordaient pas avec la ressemblance qu’il cherchait. On fit venir les médecins et les serviteurs, qui dirent en la voyant : Seigneur, c’est là la tête de Vîtâçôka. À ces mots le roi tomba évanoui par terre. On le fit revenir en lui jetant de l’eau, et alors ses ministres lui dirent : Tes ordres, ô roi, ont attiré le malheur sur la tête même d’un sage exempt de passion ; accorde, en les révoquant, la sécurité à tout le monde. Le roi rendit donc le repos au peuple en défendant que l’on mît à l’avenir personne à mort.

Cependant les Religieux, qui avaient conçu des doutes, interrogèrent ainsi le respectable Upagupta qui tranche tous les doutes : Quelle action avait donc commise le respectable Vîtâçôka pour avoir mérité, comme résultat de sa conduite, de périr par le glaive ? Apprenez, respectables personnages, répondit le Sthavira,

  1. L’emploi du mot dînâra, dont Prinsep a positivement démontré l’origine occidentale et l’introduction assez récente dans l’Inde (Note on the facsimile, etc., dans Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. VI, p. 45), est une preuve plus convaincante que toutes celles que je pourrais alléguer touchant la date moderne de la légende d’Açôka. Ce mot est très-rarement employé dans les livres sanscrits du Nord, et je ne l’ai jamais rencontré dans ceux des Sûtras que je regarde comme anciens, du moins pour le fonds. Je n’en puis, jusqu’à présent, citer que deux exemples. Le premier est emprunté à la légende de Hiraṇya pâṇi, laquelle fait partie de l’Avadâna çataka. Le héros de cette histoire avait été nommé Hiraṇya pâṇi, « celui qui a de l’or dans la main, » parce qu’au moment de sa naissance on lui trouva dans le creux de chaque main, lakchaṇâhatam dînâradvayam, ce qui doit signifier « deux Dînâras marqués de signes. » (Avad. çat., f. 195.) Le second exemple que je puis alléguer de l’emploi de ce mot se trouve dans un passage semi-historique du Divya avadâna, que nous verrons plus bas. Puchpâmitra, ce roi du Magadha que la légende nomme le dernier des Mâuryas, promet, dans la ville de Çâkala, cent Dînâras pour chaque tête de Religieux buddhiste. (Divya avad., f. 211 b.) Dans les Sûtras anciens, le terme qui paraît le plus souvent est Suvarṇa.