Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 1, éd. Boiteau, 1856.djvu/108

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avoit dans le coeur lui avoit tellement changé le visage que, pour peu que la comtesse se fût defiée de lui, elle eût tout découvert à son abord ; mais, ne songeant à rien, elle ne prit pas garde comme il étoit fait. « Y a-t-il long-temps, Madame, lui dit-il, que vous n’avez vu le comte de Guiche ? — Il y a, répondit-elle, cinq ou six jours. — Mais il n’y a pas si long-temps, répliqua le chevalier, que vous en avez reçu des lettres ? — Moi ! des lettres du comte de Guiche ? Pourquoi m’écriroit-il ? Est-il en état d’écrire à quelqu’un ? — Prenez garde à ce que vous dites, Madame, repartit le chevalier, car cela tire à conséquence. — La vérité est, dit la comtesse, que Manicamp me vient d’envoyer demander si le comte de Guiche me pourroit voir aujourd’hui, et je lui ai mandé qu’il vînt sans son ami. — Il est vrai, reprit brusquement le chevalier, que vous venez de mander à Manicamp qu’il vînt sans le comte de Guiche ; mais c’est sur une lettre de celui-ci que vous lui avez mandé cela, et je ne le sais, Madame, que parce que c’est moi qui l’ai écrite et à qui on a rendu votre réponse. N’est-ce pas assez de ne pas reconnoître l’amour que j’ai pour vous depuis douze ans, sans me préférer encore un petit garçon qui ne paroît vous aimer que depuis quinze jours et qui ne vous aime point du tout. Ensuite de ce discours, il fit des actions d’un homme enragé un quart d’heure durant. La comtesse, qui se vit convaincue, voulut tourner l’affaire en raillerie : Mais puisque vous vous doutez de l’intelligence de votre neveu et de moi, lui dit-elle, que ne me demandiez-vous des choses de plus grande importance qu’une heure à me