Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 1, éd. Boiteau, 1856.djvu/206

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de ces amants croissoit, leur prudence faisoit le contraire. On remarquoit, à la bohémienne, qu’ils se mettoient toujours vis-à-vis l’un de l’autre et en état de se pouvoir dire le secret ; à colin-maillard, que, quand l’un avoit les yeux bouchés, l’autre se venoit livrer à lui, afin que la main, en cherchant à connoître celui qu’elle avoit pris, eût le prétexte de tâter partout ; enfin il n’y avoit point de jeu où l’amour ne leur fît trouver moyen de se faire des tendresses.

Le duc de Châtillon, que la connoissance de l’humeur de sa femme obligeoit à l’observer, vit quelque chose de l’intelligence du duc de Nemours et d’elle. La gloire plus que l’amour lui fit recevoir ce déplaisir avec une impatience extrême. Il en parla à un de ses bons amis, qui, prenant à son chagrin toute la part qu’il y devoit prendre, en alla parler à la duchesse. « Le service que j’ai voué, dit-il, à la maison de monsieur votre mari, m’oblige à vous venir donner un avis qui vous est de conséquence. Belle comme vous êtes, Madame, il n’est pas possible que vous ne soyez aimée, et comme assurément, vos intentions étant bonnes, vous ne prenez pas assez garde à vos actions, la plupart des femmes qui vous envient et des hommes jaloux de la gloire de monsieur votre mari donnent un méchant jour à tout ce que vous faites. Monsieur votre mari, lui-même, s’est aperçu que vous avez une conduite qui, bien qu’elle fût plus imprudente que criminelle, ne laisseroit pas de vous faire tort dans le monde et de lui donner du chagrin. Vous sçavez comme il est glorieux, Madame, et combien il craindroit le ridicule sur cette matière.