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« Cependant, avec l’innocence de mes intentions, je ne laissai pas de couper la gorge à des
gens qui ne m’avoient jamais fait de mal, ainsi
que vous allez voir par la suite.
« Comme les véritables événemens ne sont
jamais assez extraordinaires pour divertir beaucoup, j’eus recours à Tinvention, que je crus qui
plairoit davantage, et, sans avoir le moindre scrupule de l’offense que je faisois aux intéressés,
parce que je ne faisois cela quasi que pour moi,
j’écrivis mille choses que je n’avois jamais ouï
dire. Je fis des gens heureux qui n’étoient pas
seulement écoutés, et d’autres même qui n’avoient jamais songé de l’être, et parce qu’il eut
été ridicule de choisir deux femmes sans naissance et sans mérite pour les principales héroïnes de mon roman, j’en pris deux auxquelles
nulles bonnes qualité ne manquoient, et qui
même en avoient tant, que l’envie pouvoit aider
à rendre croyable tout le mal que j’en pouvois
inventer.
« Étant de retour à Paris, je lus cette histoire à cinq de mes amies, l’une desquelles m’ayant pressé de la lui laisser pour deux fois vingt-quatre heures, je ne m’en pus jamais défendre. Il est vrai que quelques jours après l’on me dit qu’on l’avoit vue dans le monde ; j’en fus au désespoir, et je suis assuré que celle à qui je l’avois prêtée, et qui l’avoit fait copier, l’avoit fait par une simple curiosité, sans intention de me nuire ; mais elle avoit eu pour quelqu’autre la même fragilité que j’avois eue pour elle. Je l’allai trouver aussi tôt, et je lui en fis mes plaintes. Au lieu de m’avouer ingénuement son im-