Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 1, éd. Boiteau, 1856.djvu/279

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dans son estime pour se mettre en liberté, vivoit d’une manière avec lui capable d’attendrir un barbare, avec mille complaisances et mille douceurs qu’elle avoit pour lui ; elle lui témoignoit une confiance si entière, qu’il ne pouvoit s’empêcher de croire qu’elle ne voulût jamais dépendre que de lui.

Les choses étant en cet état, l’abbé surprit une lettre fort tendre que la duchesse écrivoit au prince de Condé. Cela lui donna une si grande douleur, qu’en lui faisant des reproches il se voulut empoisonner avec du vif argent de derrière une glace de miroir ; mais, commençant à se trouver mal, il perdit l’envie de mourir pour une infidèle, et prit du thériaque qu’il portoit d’ordinaire sur lui pour le garantir des ennemis que l’emploi qu’il s’étoit donné auprès du cardinal lui donnoit tous les jours. Hormis d’aller de son mouvement où il lui plaisoit, la duchesse passoit fort agréablement le temps dans la prison : l’abbé lui faisoit la plus grande chère du monde ; il lui donnoit tous les jours des présens très considérables en bijoux et en pierreries ; il en sortoit à deux heures après minuit, et il y rentroit à huit heures du matin : ainsi il étoit dix-huit heures, de vingt-quatre, avec elle.

Il n’est pas possible que le cardinal ne sçût où étoit la duchesse, et cela est plaisant, que ce grand homme, qui faisoit le destin de l’Europe, fût de moitié d’un secret amoureux avec l’abbé Foucquet, où il n’avoit pas d’intérêt. Je crois que la raison qu’il avoit d’approuver ce commerce étoit que, connoissant la duchesse intrigante, il aimoit mieux qu’elle fût entre les mains de l’abbé,