Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 1, éd. Boiteau, 1856.djvu/336

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aime l’encens, elle aime d’être aimée, et pour cela elle sème afin de recueillir, elle donne de la louange pour en recevoir. Elle aime généralement tous les hommes, quelque âge, quelque naissance et quelque mérite qu’ils aient, et de quelque profession qu’ils soient ; tout lui est bon, depuis le manteau royal jusqu’à la soutane, depuis le sceptre jusqu’à l’écritoire. Entre les hommes, elle aime mieux un amant qu’un ami, et, parmi les amans, les gais que les tristes. Les mélancoliques flattent sa vanité, les éveillés son inclination ; elle se divertit avec ceux-ci, et se flatte de l’opinion qu’elle a bien du mérite d’avoir pu causer de la langueur à ceux-là.

Elle est d’un tempérament froid, au moins si on en croit feu son mari : aussi lui avoit-il l’obligation de sa vertu. Comme il disoit, toute sa chaleur est à l’esprit. À la vérité, elle récompense bien la froideur de son tempérament, si l’on s’en rapporte à ses actions ; je crois que la foi conjugale n’a point cette violence si l’on regarde l’intention. C’est une autre chose, pour en parler franchement. Je crois que son mari s’est tiré d’affaire devant les hommes, mais je le tiens cocu devant Dieu. Cette belle, qui veut être à tous les plaisirs, a trouvé un moyen sûr, à ce qu’il lui semble, pour se réjouir sans qu’il en coûte rien à sa réputation. Elle s’est faite amie à quatre ou cinq prudes, avec lesquelles elle va en tous les lieux du monde ; elle ne regarde pas tant ce qu’elle fait qu’avec qui elle est. En ce faisant, elle se persuade que la compagnie honnête rectifie toutes ses actions ; et, pour moi, je pense que l’heure du berger, qui ne se rencontre d’ordinaire