Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 2, éd. Boiteau, 1857.djvu/180

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de Madame, sur laquelle j’attachai ma bouche avec un si grand transport que j’en demeurai tout éperdu. Je fus une demi-heure en cet état, sans pouvoir prononcer une parole et sans avoir seulement la force de me lever. Je commençois un peu à revenir, lorsque Montalais vint avertir Madame qu’il étoit temps qu’elle retournât dans sa chambre, où Monsieur alloit venir. Je ne fus pas fâché de cet avis, car je me sentois en un abattement si grand, que je serois mal sorti d’une conversation plus longue. Elle ne me donna pas le temps de dire un mot, et, s’étant levée de sa place : « Venez, Montalais, dit-elle, je vous le remets entre les mains ; ayez en soin, je crois qu’il est malade. » A ces mots elle sortit de la chambre et je n’osai la suivre ; mais ayant prié Montalais de me donner de l’encre et du papier, j’écrivis ce billet :

J’avois assez de résolution pour souffrir ma disgrâce, et je n’ai pas assez de force pour soutenir ma bonne fortune. Ma foiblesse étant un effet du respect et de l’étonnement, pardonnez-moi, belle princesse : les joies immodérées agitent trop violemment d’abord, et c’en étoit trop à la fois pour un homme. Si vous voulez bien que je croie ce que vous m’avez dit, vous me donnerez bientôt un quart d’heure pour ma reconnoissance.

« Je donnai ce billet à Montalais, qui me promit de le rendre sûrement. Après cela, elle me fit sortir par le même endroit par où j’étois venu. Je vous avoue que la joie de mon aventure étoit troublée par le chagrin de cette émotion, qui