Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 2, éd. Boiteau, 1857.djvu/382

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voyoit bien cependant pourquoi il vouloit l’y envoyer ; que c’étoit pour jouir paisiblement de sa maîtresse pendant son absence ; mais qu’il ne seroit pas dit qu’on le trompât si grossièrement, sans qu’il fît voir du moins qu’il s’apercevoit qu’on le trompoit ; que cette action étoit d’un perfide plutôt que d’un grand prince, tel qu’il l’avoit toujours estimé ; mais qu’il étoit bien aise de le connoître, afin de ne s’y pas tromper dorénavant.

Quoique le grand Alcandre eût toujours accoutumé de parler en maître, et que personne n’eût osé jusque-là lui faire aucun reproche, il ne laissa pas d’écouter M. de Lauzun jusqu’au bout. Mais voyant que sa folie continuoit toujours de plus en plus, il lui demanda froidement s’il extravaguoit, et s’il se souvenoit bien qu’il parloit à son maître, et à celui qui pouvoit l’abaisser en aussi peu de temps qu’il l’avoit élevé. M. de Lauzun lui répondit qu’il savoit tout cela aussi bien que lui ; qu’il savoit bien encore que c’étoit à lui seul à qui il étoit redevable de sa fortune, n’ayant jamais fait sa cour à aucun ministre, comme tous les autres grands du royaume ; mais que tout cela ne l’empêchoit pas de lui dire ses vérités. Et, continuant sur le même ton, il alloit dire encore quantité de choses ridicules et extravagantes, quand le grand Alcandre le prévint, lui disant qu’il ne lui donnoit que vingt-quatre heures pour se résoudre à partir, et que, s’il ne lui obéissoit, il verroit ce qu’il auroit à faire.

L’ayant quitté après ce peu de paroles, M. de Lauzun entra en un désespoir inconcevable, et comme il attribuoit tout ce qui venoit d’arriver à