Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/151

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Mais comme le changement que le Roi faisoit

    s’en est toujours depuis servie. Cependant il avoit promis de se faire pour lui-même une conquête d’amour ; et, pour en venir à bout, il s’étoit défait, pour des raisons de conscience, de tous les domestiques qu’il avoit vus dans sa maison n’être pas attachés à la Société ; et, comme un sage directeur, il employa de ses créatures, et, entre autres, deux sœurs dolentes de la Société, qui avoient l’esprit insinuant, et qui, en peu de temps, eurent gagné les bonnes grâces et les confidences de la Maintenon, qui se servoit aussi, en revanche, d’elles, pour ses affaires amoureuses. Par leur moyen, le père La Chaise étoit éclairé de tout et prenoit ses mesures là-dessus. Un jour le domestique dont elle se servoit dans son exercice amoureux fut pour deux jours à la campagne, avec sa permission ; mais soit qu’il y rencontrât quelqu’un de connoissance ou qu’il voulût gagner de nouvelles forces, il y demeura beaucoup plus ; et il y avoit déjà six jours qu’il étoit absent quand madame de Maintenon, qui n’étoit pas accoutumée à un si long jeûne, lui écrivit un billet et le donna à sa fille confidente pour le lui faire tenir.

    « D’abord cette fille le porta au révérend père La Chaise ; ils se renfermèrent tous deux dans sa chambre, et, après l’avoir ouvert, ils y lurent :

    « En vérité, mon cœur, tu n’as guère d’amour pour moi, et si tu mesurois ton impatience à la mienne, tu serois retourné dès le premier jour. Pour moi, je t’avoue que je suis au désespoir de t’avoir donné congé, et encore plus de ce que tu ne viens point. Il faut ou que tu ne m’aimes pas, ou que tu sois mort, de rester si longtemps. Reviens donc, mon cher, et ne me laisse pas seule auprès du Roi, que je n’aime pas la dixième partie tant que toi ; et si tu ne veux pas me trouver bien mal, ou morte, viens à minuit, droit dans ma chambre ; je donnerai ordre que la porte soit ouverte pour te laisser entrer. Adieu, ma vie.

    « Eh bien ! dit le Père, que vous en semble ? —Moi, lui dit-elle, je ne sais, sinon que vous me la rendiez pour la lui faire tenir.—Non, dit-il, pas cela, mais il s’agit ici de me rendre un service. » Elle n’eut pas de peine à le lui promettre. « C’est, continua-t-il, que je m’en vais lui en écrire une sous un nom supposé, afin qu’il ne vienne pas de sitôt, et je me rendrai moi-même dans votre antichambre à l’heure