Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/18

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tout éclairé qu’il est, eut bien de la peine à ne se pas laisser emporter à ce torrent qui tâchoit de l’entraîner après soi.

Toutes ces paroles n’ayant fait qu’une légère impression sur son esprit, on crut qu’il étoit nécessaire, pour le persuader, de lui faire voir quelque chose de réel qui le désabusât de l’estime qu’il avoit conçue pour Astérie. La mauvaise foi d’une suivante leur en fit naître le moyen. Cette fille, qui étoit de leur cabale, leur mit un billet d’Astérie entre les mains ; mais, comme ils ne pouvoient pas en faire un usage conforme à leur inclination s’ils l’avoient laissé dans sa pureté, ils le falsifièrent, et eurent tant de bonheur dans leur mauvais dessein que l’addition de peu de mots causa un équivoque fort désavantageux pour celle qui n’y avoit jamais pensé. Le billet fut donné au Roi comme une chose trouvée par hasard ; il en fit la lecture, et ne put connoître la différence de l’écriture, tant elle étoit bien contrefaite ; le véritable sens de l’équivoque lui frappa d’abord les yeux, et l’étonnement qu’il lui causa ne lui permit pas de tarder plus longtemps sans en recevoir l’éclaircissement. Il alla donc aussitôt à l’appartement d’Astérie ; il la trouva dans son cabinet, faisant la lecture d’un nouveau roman. « Eh quoi ! madame, lui dit-il avec un air un peu méprisant, vous arrêtez-vous encore à ces bagatelles ? — Il est vrai, reprit-elle, que, dans le fond, il n’y a rien de solide ; et j’avoue que ce ne sont que les songes et les visions des autres qui nous donnent de la joie ou nous causent de la tristesse ; néanmoins, je suis encore assez foible pour m’y laisser séduire, et je n’ai pu