Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/214

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mois. Dans le commencement de sa grossesse, un reste de pudeur l’obligea à garder la chambre ; elle ne faisoit plus de visite ni n’en recevoit que de Monseigneur. Ce petit accident acheva de faire connoître au public ce que l’on soupçonnoit depuis longtemps, savoir, qu’elle étoit la maîtresse du Dauphin. Depuis ce temps-là elle ne s’en cache plus, et elle se tient la plupart du temps à sa belle maison, que Monseigneur lui a achetée au faubourg Saint-Honoré. L’on peut dire que l’art et l’industrie n’y ont rien oublié pour rendre ce lieu agréable à la comtesse. Cependant toute la magnificence du bâtiment, ni la beauté et la richesse des meubles, n’empêchent pas que souvent le chagrin et la crainte ne pénètrent jusque dans le cabinet de cette déesse pour y attaquer son pauvre cœur, agité de mille pensées, et qui est exposé à l’envie des plus grands de la Cour. Mais le plus cuisant et le plus sensible de tous les déplaisirs qu’elle reçut de sa vie, ce fut la lettre de cachet que le Roi lui envoya pendant que le Dauphin étoit à la tête de l’armée en Flandre, portant ordre de se retirer dans 24 heures de la Cour, et de se reléguer en Normandie, chez le marquis de Courtaumer[1], son oncle. La comtesse, qui ne sentoit pas d’autre crime que celui d’avoir volé le cœur de monseigneur le Dauphin, et sachant très-bien que l’on ne fait mourir personne

  1. Claude-Antoine de Saint-Simon, marquis de Courtaumer, étoit frère de Marie de Saint-Simon, qui fut mariée à Jacques Nompar de Caumont, duc de La Force. De ce mariage étoient nés plusieurs enfants, entre autres madame du Roure et Jeanne de Caumont, sa sœur aînée, qui épousa le marquis de Courtaumer.