Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/336

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me les prêter, vous m’obligeriez. — Huit cents pistoles, Madame ! répliqua-t-il ; c’est une somme considérable dans le siècle où nous sommes ; mais n’importe, c’est un effort qu’il faut faire pour vous ; prenez toujours ce que je vous offre, et je vous ferai mon billet du reste, si vous ne vous fiez pas à ma parole. »

Il dit cela de si bonne grâce, que la maréchale jugea à propos de lui faire crédit jusqu’au lendemain, et lui ayant dit fort honnêtement que tout étoit à son service, il commença, pour l’en remercier, à lui baiser la main. Elle lui offrit ensuite le visage, et le bonhomme s’y arrêtant un peu plus que de raison : « Eh quoi ! monsieur, lui dit-elle, est-ce que vous n’osez rien faire davantage jusqu’à ce que vous m’ayez payée ? Que cela ne vous arrête pas ; votre parole, comme je vous l’ai dit, est de l’argent comptant pour moi, et je voudrois bien que vous me dussiez davantage. »

Apparemment elle parloit de la sorte craignant que le bonhomme ne se ravisât, et que, faute de prendre sa marchandise, il ne se crût pas obligé de la payer : car elle n’étoit pas si affamée de la sienne que ce fût par le désir d’en tâter qu’elle vouloit hâter la conclusion. Quoi qu’il en soit, Bechameil, sans être surpris de ce discours, qui en auroit peut-être surpris un autre : « Patience, Madame, lui dit-il, toutes choses viennent en leur temps, et Paris n’a pas été fait en un jour. J’ai cinquante-cinq ans passés, et à mon âge on ne court pas la poste quand on veut. » Ces raisons étoient trop belles et trop bonnes pour y trouver à redire, et, lui ayant donné tout