Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/382

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c’étoit un grand agrément de pouvoir entrer à toute heure dans sa chambre. Elle prit un soin extrême de lui paroître le plus agréable qu’il lui fut possible. Pour cet effet, ayant ouï dire plusieurs fois qu’elle n’étoit jamais si belle que quand elle avoit les cheveux épars, elle prit plaisir à demeurer longtemps à sa toilette, le faisant approcher, et, sous prétexte de l’entretenir des voyages qu’il avoit faits au Levant, elle tâcha de lui donner autant d’amour qu’elle s’en sentoit pour lui.

Il falloit être corsaire en matière d’amour pour regarder tant de charmes sans en être touché ; mais, soit qu’il eût contracté une certaine insensibilité dans le séjour qu’il avoit fait chez les barbares, ou qu’il se fît une règle de son devoir, il demeura dans le respect ; tellement que, la belle voyant qu’elle perdoit son temps, elle fut sur le point mille fois de lui déclarer sa passion, à quoi elle auroit succombé indubitablement si elle n’eût appréhendé que d’Hervieux, qui étoit un homme sage, n’en eût averti sa mère.

Comme le peu de progrès qu’elle faisoit dans sa passion lui faisoit passer de mauvaises heures, elle cherchoit autant qu’elle pouvoit le moyen de charmer sa mélancolie, et, sa mère lui permettant d’aller chez madame de Bonnelle[1], qui étoit sa tante, où tout Paris alloit jouer, elle vit plusieurs gens qui ne manquèrent pas de lui conter fleurette, entre autres le duc de Caderousse[2], homme de qualité du comtat d’Avignon, qui avoit épousé

  1. Voy. ci-dessus, passim.
  2. Le duc de Caderousse n’appartenoit pas à la noblesse françoise ; il étoit du comtat d’Avignon.