Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/431

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apparences, ne s’étonna point des discours qu’elle lui tint à la première entrevue, non plus que de lui voir un habit à grandes manches[1], tel qu’en portent toutes les femmes qui sont bien aises de faire accroire qu’elles sont dévotes. Elle lui dit qu’elle ne savoit si elle le devoit voir, lui qui étoit perdu de réputation dans le monde ; qu’il aimoit également le vin et les femmes, et que, pour un homme de condition, il menoit une vie si débordée, qu’il n’y en avoit point de pareille ; qu’elle avoit ouï faire mille histoires de lui, mais toutes si désavantageuses, qu’elle ne pouvoit s’en ressouvenir sans horreur ; que c’étoit dommage qu’il employât si mal son esprit, lui qui en avoit tant, et qui auroit pu se procurer quelque bonne fortune ; que toutes les dames le devoient fuir comme la peste, lui qui n’en voyoit pas une qu’il n’allât dire aussitôt tout ce qu’il savoit et tout ce qu’il ne savoit pas ; que l’indiscrétion étoit la plus méchante qualité qu’un homme pût avoir, et que tous ceux, comme lui, qui en étoient entachés, n’étoient bons qu’à pendre.

Biran la laissa dire tout ce qu’elle voulut ; mais, après qu’elle eut déchargé son petit cœur, il lui dit qu’il ne s’étonnoit pas que la médisance l’eût si peu épargné ; qu’il ne vouloit pas nier qu’il eût fait de petits tours de jeunesse ;

  1. Les robes des femmes avoient habituellement des manches d’ange, et ces manches ne passoient guère le coude. Les ecclésiastiques et les personnes en deuil portoient des bouts de manches, sortes de manchettes qui se cousoient au bout des manches du pourpoint. Pour les femmes mêmes, la manche longue devint ainsi une marque de piété ou de deuil.