Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/453

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moments qu’il ne m’étouffe. Jugez s’il est sacrifice plus sanglant que le mien. Cependant vous m’abandonnez lorsque j’ai le plus besoin de consolation, et de plus vous m’abandonnez sans me le dire ; si vous ne revenez bientôt, je vais mourir. Mais qu’importe ? aussi bien n’ai-je plus guère à vivre, et je sens bien que, si je ne meurs de tristesse, je mourrai du moins de joie quand je vous tiendrai entre mes bras.

La fin de cette lettre étoit trop touchante pour ne pas monter promptement à cheval. Roussi prit la poste, et trouva la dame si affamée qu’il lui fut impossible de la contenter. Enfin, en étant sorti le mieux qu’il put, elle ne lui donna point de repos qu’il ne lui eût accordé une nouvelle entrevue, et, celle-ci étant suivie de plusieurs autres, elle le mit si bien sur les dents, qu’il fut obligé d’avouer que l’excès nuit en toutes choses.

Les affaires de ces trois amans étoient en cet état quand Biran se brouilla avec la duchesse d’Aumont. Comme il avoit un régiment de cavalerie, et qu’en temps de paix comme en temps de guerre, le Roi n’exemptoit personne de son devoir, il fut obligé d’aller faire un tour à la garnison, où ayant vu la femme de La Grange, intendant des troupes[1], il en devint amoureux, ou, pour mieux dire, il chercha à passer son temps avec elle. Cette petite femme, à qui mille

  1. L’intendant des troupes étoit chargé de veiller à l’approvisionnement des objets nécessaires à l’armée. Dangeau (Journal, t. 1, p. 314, à la date du 22 mars 1686) parle de M. de La Grange, intendant d’Alsace.