Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ensemble que les deux parties en oublient ce qu’ils ont été et ce qu’ils se doivent. Plusieurs exemples nous ont appris cette vérité ; mais nous n’en avons aucune qui nous en marque plus la

    ordinairement la première nuit des noces qu’ils se montrent de vaillants champions, après quoi ils vont toujours en empirant. Enfin, il en est de l’amour tout le contraire des autres choses : le forgeron, dit-on, se fait en forgeant ; un avocat doit avoir plaidé plusieurs fois ayant que de se rendre habile dans sa profession ; un médecin ne devient expert qu’après avoir fait l’essai de ses remèdes sur le corps d’un grand nombre de malades qu’il a envoyés en l’autre monde ; et le métier pénible de la guerre ne se peut apprendre qu’après une longue suite de campagnes. Il en est de même de toutes les autres choses, à la réserve des mystères d’amour : ceux qui y sont initiés savent qu’on préfère toujours un novice à un vieux routier. Mais il faut excepter Louis-le-Grand de cette règle générale. Ce prince, qui depuis l’âge de quinze ans a fait de l’amour ses plus chères délices, y trouve tous les jours de nouveaux raffinements, et fait goûter à ses dernières maîtresses des douceurs qui avoient été inconnues à toutes les autres. Madame de Maintenon, qui est celle qui va faire le sujet de cette histoire, et qui occupe aujourd’hui la place que les La Vallière, les Montespan et les Fontange avoient si dignement remplie, pourroit nous en dire des nouvelles. Aussi l’on dit que la première fois que le Roi la vit pour lui offrir son cœur, il s’y prit d’une manière qui surprit agréablement cette dame, et qui confirme la vérité de ce que je viens d’annoncer à la gloire de ce monarque. Comme il savoit que la Maintenon avoit elle seule autant d’esprit que toutes les femmes ensemble, et un goût exquis sur toutes choses qui la met au-dessus des esprits du premier ordre, il crut qu’il devoit rappeler tous ses feux et tout ce qu’une longue expérience lui avoit appris en amour, pour en faire un sacrifice à sa nouvelle maîtresse, et lui fit la déclaration suivante :

    Iris, je vous présente un cœur
    Qui connoît de l’amour et le fin et le tendre,
    Et qui s’est souvent laissé prendre,
    Dans l’unique dessein d’apprendre
    Et de vous faire plus d’honneur.