Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/80

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madame de Maintenon naquit dans

l’Amérique[1] ;

    ainsi convenus de leurs faits, ils ne songèrent plus qu’à leur liberté. M. d’Aubigné s’en remit aux soins de sa maîtresse, qui prit des mesures si justes que peu de jours après elle l’avertit de se tenir prêt pour la nuit suivante. Elle en avoit choisi un fort obscur pour favoriser son dessein ; et, après avoir fait passer son amant à tâtons par des lieux ou l’amour lui servit de guide, enfin elle le mena dans une rue où ils trouvèrent des chevaux et un homme de confiance qui les conduisit, avec toute la diligence possible, en un lieu de sûreté. Là M. d’Aubigné, qui avoit les sentiments d’un homme de bien, s’acquitta de la promesse qu’il avoit faite à sa maîtresse et l’épousa publiquement.

    Leur fuite fit grand bruit. On courut après eux ; mais voyant qu’il n’y avoit pas moyen de les rattraper, il n’en fut plus parlé, et M. d’Aubigné et sa nouvelle épouse jouissoient dans leur asile des douceurs de la liberté. Elle avoit plié la toilette de sa mère et pris ce qu’elle avoit pu chez elle. Ils firent argent de tout ; tant qu’il dura, nos nouveaux mariés se trouvèrent les plus heureux du monde. Mais ces fonds n’étant pas fort considérables, ils furent aussi bientôt épuisés ; et comme on ne vit pas de tendresse, M. d’Aubigné se trouva à la veille de mourir de faim. Toute sa douleur étoit de voir que sa chère femme y étoit exposée, avec une petite créature qui étoit le fruit de leurs amours et qui sembloit destinée à perdre le jour avant de l’avoir vu. Dans cette dure extrémité M. d’Aubigné forma un dessein bien dangereux ; mais il n’y avoit de risque que pour lui seul ; il l’exécuta sans consulter sa femme, et revint en France pour tâcher de ramasser quelques effets et de trouver les moyens de la faire subsister, comptant, dès qu’il auroit pu faire une petite somme, de la venir retrouver. Il croyoit même, comme on ne pensoit plus à lui dans le pays, qu’il pourroit, par le moyen de quelques amis, y demeurer incognito. Mais tout cela lui réussit très mal, puisqu’il tomba entre les mains de gens qui le trahirent et le livrèrent de nouveau à la justice. M. d’Aubigné n’ayant point pris congé de sa femme, elle n’avoit su son dessein que par une lettre qu’il lui écrivit de la première couchée.

    Cette nouvelle la fit trembler pour la vie d’un époux qui lui étoit fort cher, et elle fut dans des inquiétudes terribles quand elle apprit que son mari avoit été remis en prison.

  1.