Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/81

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que son père[1], qui se nommoit d’Aubigné,

    Mais elle s’arma de constance ; et ne pouvant se flatter de le tirer une seconde fois du péril où il étoit, elle résolut du moins de le partager avec lui.

    Quelque risque qu’il y eût à se mettre en chemin dans une grossesse avancée, elle ne voulut rien ménager, et partit en diligence pour se rendre auprès de son mari, et se remit volontairement prisonnière avec lui. Ce fut là qu’elle accoucha de cette fameuse fille dont la fortune fait l’étonnement du siècle.

    Les parents de M. d’Aubigné, mécontents de sa conduite et de son mariage, l’avoient abandonné, et madame de Villette sa sœur fut la seule qui le vint visiter. Elle fut touchée de l’état où elle le trouva, manquant des choses les plus nécessaires ; mais ce qu’il y avoit de plus triste, c’étoit de voir cette pauvre petite enfant, couverte de méchants haillons, exposée aux horreurs de la faim, et qui par ses cris languissants, auroit attendri les âmes les plus dures. La misère et les chagrins avoient entièrement ôté le lait à madame d’Aubigné, qui, n’ayant pas le moyen de donner autre chose à sa fille, s’attendoit à tous moments à la voir expirer de faim entre ses bras. Madame de Villette avoit une petite fille, qui a été ensuite madame de Saint-Hermine, et comme sa nourrice avoit beaucoup de lait, elle emporta la petite d’Aubigné chez elle, et la nourrice de sa fille les nourrit toutes deux. Madame de Villette envoya aussi à son frère du linge pour lui et pour sa femme ; et quelque temps après M. d’Aubigné trouva le moyen de sortir de prison, en abjurant sa religion, et il en fut quitte pour sortir du royaume. Comme il ne comptoit pas y revenir de ses jours, il tâcha de ramasser de quoi faire un long voyage et s’embarqua avec sa famille pour l’Amérique, où il a vécu en repos avec sa femme, donnant tous leurs soins à l’éducation de leurs enfants. Ils ont beaucoup mieux réussi dans ceux qu’ils ont pris pour la fille, qui est assurément un prodige d’esprit. Le fils, qu’on appelle à présent le comte d’Aubigné, n’en manque pas ; mais on peut dire avec vérité que le mérite est tombé en quenouille dans cette famille. M. et madame d’Aubigné moururent dans leur exil, et laissèrent leurs enfants assez jeunes. La fille, qui étoit l’aînée, pressée du désir commun à tous les hommes de revoir leur patrie, chercha les moyens de revenir en France, et trouvant un

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