Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/88

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peu, il se retira, en attendant le jour suivant pour sa réponse, lequel ne fut pas plus tôt venu, et l’heure assignée, qu’il se trouva au lieu. De si loin qu’il la vit : « Eh bien ! serez-vous ma femme ? dit-il.—Je ne sais, dit-elle ; je n’aurois pas beaucoup de répugnance à l’être, mais je n’ai pas encore grande amitié pour vous ; il faut espérer que le temps amènera toutes choses.—Ah ! ma chère Guillemette[1], dit-il, que je t’aime ! Je te ferai tant de bien et de si beaux présents que tu seras comme forcée d’avoir de l’amour pour moi. »

En effet, il n’alloit en aucun des marchés voisins qu’il ne lui apportât quelques gâteaux ou fouaces, des aiguilles, des épingles, des jambettes[2], et quantité d’autres raretés de cette nature. Elle, qui voyoit avec quel zèle, quelle affection, il agissoit pour son service, commença à avoir de l’amitié pour lui. Elle se voyoit sans père, mère, parents ni amis, dénuée de biens, comme étrangère dans un pays ; et, d’un autre côté, elle voyoit un bon laboureur qui la recherchoit et qui l’aimoit. Il étoit un peu mal fait, mais enfin ce n’auroit pas été le premier mariage que la nécessité auroit fait : car, lorsqu’on se voit tomber dans un précipice, on s’attache à la première chose qu’on rencontre pour éviter sa perte. Elle lui témoigna donc beaucoup plus d’amitié qu’à l’ordinaire, et sans doute que leur mariage eût réussi si une dame d’un château voisin n’eût eu compassion de sa jeunesse et de l’embarras

  1. Pourquoi ce nom de Guillemette ? Nous n’avons pas d’explication à donner de ce caprice de l’auteur.
  2. Mot particulier à l’Anjou et au Poitou.—La jambette est, en Anjou, un petit couteau dont le bout est arrondi.