Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

où elle se mettoit en épousant ce villageois ; et, ayant trouvé en elle un esprit capable d’être amené à quelque chose, elle la prit chez elle, où elle servit de fille de chambre. Là, elle oublia tout à fait son pauvre village, et commença à s’éclaircir un peu l’esprit à la mode de la noblesse. Son pauvre amant fut au désespoir de la perte qu’il faisoit ; il auroit bien été jusque dans le château pour la voir, mais on l’avoit averti de n’en point approcher s’il ne vouloit en remporter une charge de bois, si bien qu’il étoit dans les plus grands chagrins du monde. Néanmoins il avoit toujours quelque espérance de lui parler, et, sachant qu’elle devoit, à quelques jours de là, aller seule faire ses dévotions dans l’église de la paroisse, il prit la résolution de lui parler ; pour cet effet, il s’y rendit de grand matin, crainte de la manquer. Lorsqu’elle voulut entrer dans l’église, il s’avança pour lui parler ; mais elle, qui se sentoit le cœur relevé par les habits qu’elle portoit, et auxquels elle n’étoit pas accoutumée, le rebuta et ne le voulut du tout point écouter. Peu s’en fallut qu’il ne perdît tout à fait le respect dans ce lieu saint et qu’il ne l’accablât d’injures ; mais, sa raison se trouvant plus forte que sa passion, il attendit à la fin de l’office, et, lorsqu’elle sortit, il l’accabla, en la suivant, des plus sanglantes injures ; il lui reprocha mille fois jusqu’à la dernière bagatelle qu’il lui avoit donnée ; quelquefois il juroit, d’autre part il la supplioit de n’oublier point l’amour ardent qu’il lui avoit témoigné. Enfin il fit cent postures par lesquelles il n’avança rien, car elle poursuivoit toujours son chemin sans le vouloir écouter ni même le regarder,